Patrick Lefevre/BELPRESS/MAXPPP - Ants | Fourmis  30/03/2018 (MaxPPP TagID: maxnewsfrfour054707.jpg) [Photo via MaxPPP]

La coopération entre les fourmis et les plantes s'est mise en place dès le mésozoïque.

MaxPPP/Patrick Lefevre/BELPRESS

Les fourmis et les plantes ont progressivement évolué ensemble afin de coopérer, et ce depuis des dizaines de millions d'années. C'est la conclusion d'une nouvelle étude, publiée dans la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), qui retrace l'histoire de cette complicité naturelle. Pour y parvenir, trois chercheurs du Muséum Field d'histoire naturelle de Chicago (Etats-Unis) ont comparé les différences d'ADN de deux groupes d'organismes : 1 700 espèces de fourmis et 10 000 catégories de plantes. Les analyses montrent que leur entraide est bien plus ancienne que prévue : ses prémices remontent à l'époque du mésozoïque, c'est-à-dire entre 66 et 250 millions d'années avant notre ère !

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Dans ce cas précis, la coopération (ou symbiose) prend plusieurs formes entre l'animal et le végétal. D'un côté, les plantes ont développé une préférence pour attirer, nourrir ou encore protéger ces insectes. De l'autre côté, les fourmis servent à une meilleure dissémination des précieuses graines, et parfois se chargent même de protéger cette "main" qui les nourrit. "Les plantes ont créé plusieurs structures biologiques servant exclusivement aux fourmis, détaille l'auteur principal de l'étude, Matthew P. Nelsen. Certaines, par exemple, exhibent un nectar séduisant ces soldats à six pattes, au point qu'ils vivent à proximité et attaquent tout ce qui menace leur source de trésors verts."

Comme pour l'oeuf et la poule, qui a commencé ?

Ce principe mutuel est constaté par les entomologistes du monde entier, sauf qu'un mystère résistait encore à la science. Une énigme, digne du paradoxe de l'oeuf et de la poule : qui, de la fourmi ou de la plante, a démarré cette histoire biologique commune ? En quête d'une réponse, les trois scientifiques ont réuni d'immenses bibliothèques d'ADN de ces organismes. Ils ont recomposé puis enrichi ce qui ressemble aux arbres généalogiques d'individus, mais plutôt en version évolutionniste, avec des lignées entières par branches, sur des millions d'années (technique de phylogénétique). Selon chaque famille d'espèces, l'apparition sur Terre varie tout autant que les capacités de coopération constatées. Réorganiser ces familles dans le temps permet de revenir aux origines de cette entraide, et surtout de retrouver qui a apporté quoi.

"L'idée simple derrière, c'est de comprendre les filiations entre toutes les espèces, de mettre en évidence des événements de diversification, tandis que d'autres se sont éteintes", explique Guillaume Besnard, chargé de recherche au laboratoire Evolution et diversité biologique (CNRS/université de Toulouse). "Difficile de faire mieux que l'étude en question avec cette technique, ajoute-t-il. Les chercheurs ont employé un bel échantillon exhaustif d'ADN et des bases de données élaborées pour les déchiffrer." Et en particulier, y distinguer chaque capacité biologique dédiée à cette coopération, tel un nectar, ou un sac nutritif. Quant à la datation sur l'arbre phylogénétique, les âges minimum sont donnés par les fossiles déjà connus.

PNAS fourmis plantes

L'évolution des structures biologiques dédiées à cette coopérations. Les fourmis s'adaptent notamment plus vite que les plantes.

© / PNAS / Field Museum of Natural History, Chicago

"Dans certains cas, la nature opère une contre-sélection"

Parfois, quelques cas diffèrent de cette grille de lecture, avec un service rendu involontaireentre les espèces, ou non mutuel. Plusieurs espèces végétales rusent ainsi en attachant à leurs graines un sac (un élaïosome) d'une nourriture prisée des fourmis, encourageant leur vol et donc la dispersion des semences dans la nature. Autrement dit, la sélection naturelle a détourné l'appétit de ces insectes... à son profit. Face à ces cas, plusieurs médias américains osent la métaphore de l'esclavage. Guillaume Besnard réfute cette approche. "Les fourmis peuvent tricher, par exemple en volant une nourriture, toutefois dans ces cas, la relation devient vite instable : si la famille de plantes n'y trouve aucun intérêt, elle dépérit. La nature opère une contre-sélection."

Entre les deux familles d'espèces, une autre découverte a surpris les chercheurs. Leurs travaux déterminent que ces insectes ont compté sur cette verdure - comme nourriture ou habitat - bien avant que l'inverse ne soit vrai ! "Chez les fourmis qui misent beaucoup sur les plantes, nous avons même établi un ordre d'apparition progressif de leur dépendance : d'abord les prédatrices se nourrissent occasionnellement de végétaux, puis leur régime évolue à force [pour devenir omnivore voire herbivore], avant de s'en faire finalement un nid", détaille Matthew P. Nelsen. Il a fallu attendre quelques dizaines de millions d'années plus tard pour que les plantes s'y adaptent et s'accommodent finalement de leurs visiteurs. Chacun à son rythme, comme dans un vieux couple.

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