Le secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly (g) et Pascal Pavageau, le 27 janvier 2017 à l'Hôtel Matignon, à Paris

Le successeur de Pascal Pavageau, poussé à la démission en octobre dernier, doit être désigné ce jeudi 21 novembre.

afp.com/BERTRAND GUAY

Chez FO, une affaire de fichier peut en cacher une autre. L'ambiance y était déjà tendue après qu'avait été rendu public, début octobre, un document interne, assorti de commentaires épicés sur plus d'une centaine de cadres du syndicat. Alors que le Comité confédéral national (CCN) doit élire le successeur de Pascal Pavageau ce jeudi 22 novembre, elle est devenue électrique, dans un contexte où s'affrontent trois courants farouchement opposés, trotskiste, anarchiste et réformiste.

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A l'origine de cette nouvelle poussée de fièvre, les récentes révélations du Parisien sur les salaires et les avantages des membres du bureau confédéral. D'autres dossiers sur la formation ou les primes de Jean-Claude Mailly pourraient encore faire monter le thermomètre. Le sujet hante les couloirs, mais pas question de l'évoquer autrement que sous couvert d'anonymat. "Le climat est délétère, violent, c'est chacun pour soi, c'est la curée", s'alarme un militant.

Des "bombes" dans les documents comptables

Selon Le Parisien, Jean-Claude Mailly aurait touché 100 334,63 ¤ brut annuel, primes comprises. L'ex-patron de FO a démenti, sans forcément convaincre. "C'est indécent, réagit Patrice Clos, secrétaire général de la fédération transports, qui brigue aujourd'hui la tête du syndicat. On est là pour représenter les salariés par pour toucher des rémunérations au-delà du raisonnable."

La quotidien fait aussi état d'une prime de départ à la retraite de 22 792 euros en 2017. "Ce serait plutôt son solde de congés ou une prime déguisée, corrige un connaisseur du dossier, qui maintient que Jean-Claude Mailly percevait 7 à 8000 euros net par mois, en comptant toutes ses primes, et a fait ses calculs. L'accord d'entreprise prévoit six mois de salaire, il aurait donc dû toucher bien plus. Ce qui est étonnant, d'ailleurs, c'est qu'il n'ait pas perçu ces six mois en 2018 : soit il en a fait cadeau à l'organisation, soit il les a touchés avant 2015."

Comment le savoir ? En interne, l'opacité est de mise. "On nous dit que tout est clair, que les comptes sont validés par les commissaires aux comptes, mais comment vérifier, ils ne nous les donnent pas", déplore Patrice Clos. Les données comptables sont certes publiées au Journal officiel, mais n'y apparaissent que les grandes masses. Même les plus hauts gradés de la centrale n'ont pas accès aux comptes détaillés. "Jusqu'au sein du bureau, on n'a jamais droit à aucun élément financier", se plaint un secrétaire confédéral.

Depuis quelques jours, pourtant, des documents circulent... à l'extérieur. Non sans provoquer quelques frayeurs. "Le Parisien a eu connaissance des trois bilans comptables de 2015 à 2017", croit savoir un secrétaire confédéral. Des centaines de pages, qui, selon lui, contiendraient des "bombes".

Parmi les candidats à son remplacement, seul Patrice Clos réclame que soit mené l'audit indépendant sur les finances annoncé par Pascal Pavageau, et enterré depuis son départ spectaculaire. Cet audit lui aurait coûté son poste, six mois seulement après son arrivée, qu'il a mis à profit pour mettre son nez dans les comptes. "L'affaire des fichiers est sortie juste après qu'il a parlé d'un audit, constate le patron de la fédération Transports. Maintenant, il faut crever l'abcès et ne pas mettre le couvercle sur la marmite, sinon, on court un grand danger..." Patrice Clos en "prend plein la figure", dit-il, depuis qu'il a lui-même "demandé la transparence".

"Chez FO, il n'y a aucune règle sur rien"

Flash-back. Lorsque, tout frais élu en mai dernier, Pascal Pavageau se plonge dans les livres comptables de la centrale, le nouveau secrétaire général de Force ouvrière va de surprise en surprise. Il pensait disposer d'un matelas financier confortable, il n'en resterait que 8 millions d'euros. Le dernier congrès n'aurait pas été payé. Coût de la facture : deux millions d'euros qu'il faudra prendre sur la réserve. "Ce n'est pas la faillite, il y a de l'argent dans les caisses, relativise Patrice Clos. Mais on vit comme si on avait 500 000 adhérents, alors qu'il n'y en a que 300 000." C'est l'une des autres découvertes du successeur de Jean-Claude Mailly, qu'il fait rapidement partager aux responsables de FO : les cotisations étaient censées représenter 35% des ressources du syndicat, contre 27% en réalité.

Pascal Pavageau clame haut et fort qu'il va mettre de l'ordre, bâtir un budget. Il s'attaque aux notes de frais des membres du bureau de la confédération. "Comme pour à peu près tout chez FO, il n'y a pas de règles en la matière, soupire un militant. Il suffit de faire une demande de prise en charge au trésorier, ça peut toujours passer." L'un se fait payer un abonnement à une revue, l'autre à une box internet...

Fin juin, Pavageau dégaine son audit, qu'il souhaite voir mené par un cabinet extérieur avec les données des commissaires aux comptes et du centre de formation interne. Fin août, la chef comptable quitte FO "pour raisons personnelles".

Où va l'argent de la formation ?

La formation. C'est l'autre gros dossier auquel il s'attaque. Son budget a augmenté d'un million d'euros de 2016 à 2017, alors que le nombre de sessions a diminué. Où va l'argent ? Les commissaires aux comptes disent ne pas pouvoir accéder aux données du Centre de formation des militants syndicaux (CFMS). Pourtant, comme le dit Patrice Clos, "c'est le nerf de la guerre". Et une boîte noire.

Comme les autres organisations syndicales et patronales, depuis 2014, Force ouvrière perçoit de l'argent de l'Association de gestion du fonds paritaire national (AGFPN) (1). Une manne de près de 15 millions d'euros en 2016, destinée à financer en partie le paritarisme, mais pas seulement. FO redistribue une partie de cet argent aux fédérations et aux unions départementales pour couvrir le dialogue social qui leur revient de droit dans les branches professionnelles ou localement.

Les fonds de l'AGFPN servent également à payer les formations des salariés en particulier ceux exerçant des responsabilités syndicales. Pour un montant coquet : à FO, on parle de 7 millions d'euros. Lors d'une Commission exécutive - 35 élus nationaux se réunissent chaque mois -, "Pascal Pavageau a averti qu'il voulait comprendre pourquoi le nombre de prestations avait baissé entre 2016 et 2017 alors que les dépenses avaient augmentées de 1 million, se souvient un secrétaire de fédération. Il a demandé à Didier Porte [secrétaire confédéral, ndlr] de faire un état des lieux des flux financiers en interne et de mettre des règles en place pour les formateurs."

Didier Porte aurait alors mis la main sur une "convention de développement" annuelle de 72 000 euros entre le CFMS et la fédération de la pharmacie. Datée de 2016, elle a été mise en place par le secrétaire confédéral Frédéric Souillot*, alors qu'il était en charge du CFMS (2). Depuis janvier 2018, il est président de... l'AGFPN. La convention prévoyait un versement récurrent de 18 000 euros par trimestre. Quatre fois par an, la fédération de la pharmacie émettait une facture de ce montant, la confédération la payait. Problème, la justification concrète du paiement d'une telle prestation était visiblement inexistante. De là à en conclure qu'il ne s'agirait pas de formations, mais de subvention masquée...

Pour quel usage ? "Ce dossier a été mis sur la table fin août, raconte un secrétaire d'union départementale. Pascal Pavageau a affirmé que si les dépenses n'étaient pas justifiées, elles s'arrêteraient." Début septembre, le patron de la fédération de la pharmacie apprend que la manne est coupée.

Didier Porte, en charge de la formation depuis le lendemain du congrès, a pour mission d'enquêter sur le CFMS. Début octobre, il informe Pascal Pavageau qu'il y aurait plusieurs dizaines de conventions illicites de ce type entre la confédération, les fédérations et les unions départementales. "Il ne pensait pas dénicher autant de magouilles, mais trouver quelques mauvaises graines. Il a finalement pris le silo tout entier sur la figure", s'amuse un autre secrétaire d'union départemental. Au sein de la confédération, l'hostilité à son égard grandit.

La chute

Quelques jours plus tard, le 10 octobre, Le Canard Enchaîné révèle l'existence d'un document Word émanant de la direction et affublant plus de 100 cadres de la fédération de qualificatifs souvent peu élogieux (naïf, bête...), voire faisant état de leur orientation sexuelle (homo...). Un document illégal choquant. Jean-Claude Mailly se dit sidéré par l'existence de ce fichier. "La meilleure solution, en fonction de ce qui se passe en interne et avec ce fichier qui est impardonnable, c'est que lui prenne de lui-même la décision de démissionner", assène Frédéric Homez, secrétaire de la métallurgie de FO.

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Qui a transmis le dossier au palmipède ? "Le fichier a été envoyé à trois personnes différentes à trois dates différentes (octobre 2016, février 2017 et juin 2017) afin de constituer le nouveau bureau, mais une seule d'entre elles a été retenue, affirme un militant. Les deux autres avaient donc des raisons de lui en vouloir... Il a été piégé." L'affaire a été transmise à la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés) qui mène une enquête.

"En faisant fuiter ce document, ses expéditeurs pensaient l'affaiblir en interne, mais ils n'imaginaient pas qu'il démissionnerait, analyse un secrétaire général de fédération. Ils lui ont demandé de virer sa directrice de cabinet, mais de rester." C'était mal le connaître. "Il n'a pas voulu du rôle d'homme de paille, coincé au 5e étage, sans pouvoir de décision", renchérit un militant.

La suite est digne de méthodes managériales du genre de celles que dénonce régulièrement FO. "Pavageau a été sorti sans ménagement, décrit un autre syndiqué. Il a annoncé sa démission à 9 heures, sa ligne téléphonique a été coupée dans la journée et depuis, silence radio."

* Contactés, Didier Porte et Frédéric Souillot n'ont pas répondu à nos sollicitations.

(1) D'où vient l'argent des syndicats ? Depuis la loi de 2014, les fonds destinés aux organisations patronales et syndicales transitent par l'Association de gestion du fonds paritaire national (l'AGFPN), alimentée par une contribution des entreprises (0,016% de leur masse salariale) et une subvention de l'Etat (et non plus comme avant par des ponctions).

(2) Il est depuis mai 2018 en charge du juridique chez FO.

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