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Nouvelle plainte contre Vinci pour « travail forcé » sur des chantiers liés la Coupe du monde au Qatar

Des ex-employés et des ONG parlent de semaines de 66 heures dans une chaleur écrasante et des confiscations de passeports.

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Publié le 22 novembre 2018 à 19h29, modifié le 22 novembre 2018 à 21h11

Temps de Lecture 4 min.

Un ouvrier de Qatari Diar Vinci Construction (QDVC), filiale de Vinci au Qatar.

Sherpa persiste et signe. Trois ans après une première plainte classée sans suite, l’association de défense des « victimes de crimes économiques » a déposé une nouvelle plainte contre Vinci, jeudi 22 novembre, pour « travail forcé », « réduction en servitude », « traite des êtres humains », « travail incompatible avec la dignité humaine », « mise en danger délibérée », « blessures involontaires » et « recel » sur les chantiers en lien avec la Coupe du monde au Qatar.

Cette fois-ci, l’ONG n’est pas seule. Parmi les plaignants figurent également le Comité contre l’esclavage moderne et six anciens employés indiens et népalais ayant travaillé à la construction des infrastructures du Mondial 2022 pour le leader du BTP et ses filiales, Vinci Construction Grands Projets (VCGP) et Qatari Diar Vinci Construction (QDVC).

Retrouvez notre reportage : Mondial 2022 : les damnés de Doha

66 heures de travail par semaine

Leurs témoignages, que Le Monde a pu consulter, décrivent des conditions de travail éprouvantes, voire dangereuses pour ces hommes souvent très pauvres, partis de leur pays pour envoyer depuis la fournaise qatarie de quoi subsister à leur famille. « Ce sont des gens qui sont dans une vulnérabilité extrême, qui sont presque prêts à retourner [travailler] au Qatar, tellement ils sont désespérés pour subvenir aux besoins de leur famille », souligne Marie-Laure Guislain, responsable du contentieux au sein de Sherpa.

Le salaire minimum, 700 riyals (environ 168 euros) pour les travaux non qualifiés, est « sans rapport avec le travail fourni » poursuit-elle, avant d’ajouter :

« Rendez-vous compte : ces travailleurs immigrés non qualifiés touchent 4 % du salaire médian d’un Qatari. C’est comme si, en France, les ouvriers immigrés touchaient 68 euros par mois alors que le salaire médian français est de 1 700 euros. »

Un salaire faible assorti de conditions de travail difficiles. L’été à Lusail, sur la côte orientale, les employés des filiales de Vinci travaillent sous des températures qui atteignent entre 40 et 50 degrés. Et ce « entre 66 et 77 heures par semaine », selon les témoignages des plaignants recueillis par Sherpa. Soit onze heures par jour, six à sept jours par semaine. Le vendredi, leur seul jour contractuel de repos, est travaillé « à raison d’une moyenne de deux semaines par mois », selon l’ONG. Et pour cause : le salaire de base ne leur suffit pas pour vivre dans un pays où la vie est chère, tout en aidant leur famille restée au pays. Sherpa de poursuivre :

« Les travailleurs acceptent donc d’effectuer des heures supplémentaires payées 125 % du salaire de base, même au-delà de la limite légale et de leurs capacités physiques, pour pouvoir compléter leurs salaires. »

« J’ai vu des gens tomber au sol »

Dans leurs témoignages, les six plaignants racontent tous avoir vu les effets néfastes de ces conditions de travail sur leur corps ou celui de leurs camarades. « A cause de la chaleur et de l’humidité, j’ai vu des personnes vomir, et tomber comme ça sur le sol », raconte l’un d’eux.

Jusqu’en 2016, les camps ne disposaient pas d’aires de repos à l’ombre, souligne l’ONG dans sa plainte : lors de la distribution des repas, les ouvriers faisaient la queue sous le soleil et mangeaient ensuite dehors, en pleine chaleur. Du fait de la mauvaise qualité de la nourriture – un ancien employé français de Vinci raconte à Sherpa avoir vu des « fruits pourris » –, certains auraient développé des maladies digestives. D’autres, à l’image de ce plombier de 42 ans, ont désormais des problèmes cardiaques « à cause du gaz, (…) des émanations, du pétrole » présents sur son chantier.

Difficile de protester. Jusqu’en 2016, les employés ne disposaient pas de comités de travailleurs élus. Depuis, de tels comités se tiennent régulièrement pour les employés directs des filiales de Vinci… mais pas pour les sous-traitants, qui représentent 60 % des travailleurs, selon Sherpa. Par ailleurs, jusqu’en 2015 au moins selon les témoignages recueillis par l’ONG, les passeports des employés étaient confisqués à leur arrivée, rendant impossible leur libre départ. Hors autorisation spéciale urgente, ils étaient autorisés à revenir chez eux seulement quarante-deux jours au bout de deux ans de travail.

Un « coffret sécurisé » pour les passeports

Depuis, Vinci affirme qu’elle met à disposition de « tous les salariés QDVC [la filiale qatarie de Vinci] (…) un coffret sécurisé dans lequel ils peuvent stocker leur passeport et en disposer quand ils le désirent. » Une disposition qui, là encore, ne concerne pas les sous-traitants, selon Sherpa.

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Contactée par Le Monde, l’entreprise de BTP affirme qu’elle « a toujours œuvré en faveur de l’amélioration des conditions de travail au Qatar » et ce, « bien avant la première plainte déposée par Sherpa » en mars 2015, citant des « discussions amorcées en décembre 2014 » avec l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois. Et si Sherpa « se réjouit » de l’amélioration des conditions de travail dans un communiqué, l’association souligne que « cet impact positif ne saurait gommer la réalité des infractions dénoncées, que la justice devra examiner puisque les faits ne sont pas prescrits ».

Et d’espérer que sa seconde plainte ne subira pas le même sort que la première, classée sans suite en février par le procureur de la République de Nanterre, faute de victimes identifiées. Pour cette seconde plainte, l’association a mis toutes les chances de son côté. Après quatre mois de recherches pour retrouver des anciens employés dans les pays d’Asie du Sud-Est, elle sera en mesure de produire, avec le Comité contre l’esclavage moderne, six anciens employés face au géant du BTP.

Lire le récit : Article réservé à nos abonnés Au Qatar, le sort préoccupant des ouvriers du Mondial 2022
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