Amitié, amour, moral… Ils nous racontent comment «World of Warcraft» a changé leur vie

Alors que le jeu de Blizzard fête cette semaine son anniversaire, cinq habitués de « WoW » nous racontent comment ce titre a influé sur leur vie réelle.

 Pour Muriel alias Monidrood, « World of Warcraft » a permis de « revenir un peu dans la société » après des problèmes de santé.
Pour Muriel alias Monidrood, « World of Warcraft » a permis de « revenir un peu dans la société » après des problèmes de santé. DR

    Mastodonte du jeu en ligne pendant des années, « World of Warcraft » a depuis perdu un peu de son aura. Il a beau ne plus être au tout premier plan de l'actualité vidéoludique, le titre, qui fête vendredi le quatorzième anniversaire de sa sortie, continue d'être une machine à cash pour Blizzard et d'occuper des millions de joueurs.

    Pour certains d'entre eux, les journées passées à arpenter cet univers médiéval-fantastique dans la peau d'un guerrier orc, d'un chasseur nain ou d'un mort-vivant démoniste représentent bien plus qu'un simple passe-temps. Parfois pour le pire : les risques d'excès, voire d'addiction, sont réels. Mais aussi pour le meilleur. Au fil des années, « WoW » a permis à des couples de se former, à des liens d'amitié de se tisser ou à des périodes difficiles de la vie d'être traversées. Cinq joueurs nous racontent l'influence que « World of Warcraft » a pu avoir « IRL » (« in real life », « dans la vie réelle »).

    A l'hôpital, « j'avais un PC portable sur ma table de chevet »

    Il y a six ans, alors qu'il se rend au travail, Mazlum est victime d'un grave accident de la route. Fracture de la jambe, grosses complications… Ce Normand passe les six mois suivants à l'hôpital. Cela fait alors déjà des années qu'il est accro à « WoW ». « J'ai eu mon accident de la route le jeudi. Le vendredi, j'avais un PC portable sur ma table de chevet avec une connexion 3G et un casque », se rappelle-t-il.

    Mazlum alias Mazlumollum, mort-vivant démoniste/DR

    Pendant son hospitalisation, Mazlum peut compter sur le soutien des membres de sa guilde, une association de joueurs. Surtout la nuit, lorsqu'il n'arrive pas à fermer l'oeil. « J'avais un relais des joueurs. Ils discutaient avec moi jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de réponse, pour être sûr que je m'endorme ». Mazlum, désormais âgé de 33 ans, a depuis reçu ou rencontré la plupart des joueurs qui l'ont aidé à cette époque.

    Durant sa convalescence, « World of Warcraft » devient aussi un moyen de se rapprocher avec sa femme. La journée, elle vient voir Mazlum à l'hôpital. Le soir, le couple se retrouve dans le jeu. L'arrivée d'un premier enfant, il y a quatre ans, vient un peu chambouler les habitudes. Sa femme met un terme à ses aventures virtuelles. Pour Mazlum, le rythme se fait moins soutenu. Des jumeaux viennent en plus s'ajouter à l'équation deux ans plus tard. Mais « WoW » n'est jamais bien loin. L'un des petits derniers s'appelle Anduin, en référence à Anduin Wrynn, chef de l'Alliance et roi de Hurlevent.

    Habitué aux très longues sessions de jeu quand il était plus jeune, Mazlum continue à « passer du temps sur "WoW" pendant les périodes de stress » même s'il se rend compte assez rapidement lorsqu'il « surjoue ». Attiré par le côté infini de « World of Warcraft », il estime avoir « perdu une bonne année et demie » sur le jeu. « "Perdu" entre guillemets mais, concrètement, j'aurais pu dormir, apprendre l'italien ou le chinois pendant ce temps-là. »

    « On a accroché autant que dans le jeu »

    Il le reconnaît bien volontiers : pendant plusieurs années, Jean-Philippe est resté « en mode gros geek ». « Je me réveillais, j'allais sur World of Warcraft. Je faisais ensuite mon petit train de la vie quotidienne. Quand je rentrais, je reprenais le jeu », raconte ce cuisinier-pâtissier de 26 ans. Depuis, Jean-Philippe a levé le pied. Il ne joue plus qu'une dizaine d'heures par semaine maximum. Difficile de garder un rythme intensif lorsque l'on songe à fonder une famille. Originaire du Var, Jean-Philippe vient de déménager près de Chambéry, en Savoie, pour rejoindre sa compagne Anaïs.

    Jean-Philippe a d'abord croisé son chemin il y a six ans, sur « WoW ». « On était dans la même guilde, on faisait des quêtes ensemble », se rappelle-t-il. Même s'il ne voyait pas le jeu comme un « World of Meetic », les deux ont fini par se rencontrer dans la vie réelle. Anaïs est venue le voir dans le Sud et ils « ont accroché autant que dans le jeu ». Le couple continue d'ailleurs de parcourir les terres d'Azeroth ensemble, s'échangeant les équipements obtenus au fil de leurs quêtes.

    Jean-Philippe alias Dænerys, elfe de sang paladin, et Anaïs/DR

    La rencontre avec Anaïs n'est pas la seule conséquence positive des heures passées sur « World of Warcraft » pour Jean-Philippe. Le jeu l'a également aidé lorsqu'il a fallu bouger pour effectuer des missions d'intérim. « Quand je pars dans le Nord ou à Paris, je demande à ma guilde s'il n'y a pas quelqu'un pour m'héberger. La réciproque est vraie. Le jeune homme est prêt à accueillir dans son appartement des joueurs venus profiter de la neige savoyarde. En résumé, « c'est comme Airbnb, mais c'est gratuit ! »

    « Mes professeurs étaient emballés »

    Parmi les millions de joueurs qui continuent de se connecter aux serveurs de « World of Warcraft », une autre Anaïs, 23 ans, fait figure de cas à part. « On a souvent ce cliché du joueur qui saute tous les dialogues pour aller plus vite. Là, je prends le contre-pied. Je passe des heures à les lire pour essayer de les décrypter », explique cette étudiante en deuxième année de master Lettres modernes à l'université d'Aix-Marseille.

    Après avoir découvert le jeu durant son adolescence, Anaïs a repris un abonnement il y a quelques mois. Remettre les pieds dans le monde de « WoW » lui a donné l'idée de son sujet de mémoire de recherche, consacré à la création linguistique dans les jeux vidéo. Si le jeu a pu entraîner certains étudiants dans une spirale infernale, Anaïs joint ainsi l'utile à l'agréable : elle peut jouer et valider son mémoire en même temps.

    Anaïs alias Ellündrill, elfe de la nuit druide/DR

    « Le titre de Blizzard présente beaucoup de singularités linguistiques », souligne Anaïs, qui cite notamment la barrière de langue. « Il va y avoir une partie cryptée quand on va rencontrer un joueur ennemi. Les Elfes de nuit comprennent par exemple le langage commun mais pas l'orc ». Réussir à consacrer son mémoire de recherche à un tel sujet a-t-il tenu du haut fait ? Bien au contraire. L'étudiante assure « n'avoir jamais vu de professeurs aussi enthousiastes ». « Ils étaient emballés parce que c'est à la fois un phénomène nouveau et parce que c'est quelque chose qu'ils ne connaissent pas », estime Anaïs.

    « Le personnage de mon mari a fait la cour au mien »

    Joueuse depuis 2006, Julie n'a pas rencontré son mari sur « World of Warcraft ». Le jeu a toutefois bien aidé pour faire de ces deux amis un couple. « Son personnage a fait la cour au mien. Je jouais une prêtresse, lui un voleur. Où que ce soit, je le croisais toujours. Aujourd'hui, ça pourrait être assimilé à du harcèlement ! », se remémore, dans un éclat de rire, cette chargée des ressources humaines de 36 ans. L'idylle virtuelle a débouché sur un mariage en 2008 et sur la venue au monde de trois « gnomes » âgés de 9 ans, 5 ans et 16 mois.

    Julie alias Dillawn, elfe de la nuit chasseur/DR

    Julie n'a pas seulement trouvé l'amour sur « WoW ». Elle a également noué des liens d'amitié indéfectibles avec deux autres joueurs, rencontrés en ligne il y a onze ans maintenant. « On s'est vu deux, trois fois, pas plus. Mais il n'y a pas un soir sans que l'on discute de nos vies ou que l'on joue ensemble. Si cela peut paraître étrange, ce rapport est beaucoup plus fort qu'avec des copines ou des copains », avance-t-elle. Cette bande d'amis a sa propre guilde, sa « petite maison », et ne cherche pas vraiment à recruter d'autres joueurs. « C'est un peu bête, World of Warcraft reste quand même un MMO (jeu massivement multijoueur, NDLR) », admet Julie.

    On sent malgré tout affleurer une part de nostalgie chez la trentenaire. Pour elle, le jeu est devenu « trop accessible » et « a perdu beaucoup de son charme ». Les heures passées dans les donjons, à se perdre dans les méandres du Temple englouti ou du Marais des chagrins, sont révolues. A ses yeux, le côté social du jeu a pris un peu de plomb dans l'aile, « Aujourd'hui, les gens prennent à peine le temps de dire bonjour au début du donjon », regrette-elle, tout en se réjouissant de la sortie prochaine d'une version Classic, tel que le jeu existait à ses débuts en 2004.

    « World of Warcraft m'a aidé à revenir un peu dans la société »

    Jouer à un jeu vidéo ? Cela n'a jamais traversé l'esprit de Muriel jusqu'à ce qu'un burn-out oblige cette directrice d'agence bancaire à arrêter le travail fin 2007. Quelques mois plus tard, c'est après avoir discuté avec son fils, joueur assidu de « World of Warcraft », que cette Belge de la région de Charleroi crée son personnage de démoniste.

    Les premiers pas sont hésitants. « Reculer, sauter, s'asseoir… Je ne comprenais rien », reconnaît Muriel, 57 ans. Peu importe. « WoW » lui permet de se concentrer, de penser à autre chose. L'expérience aidant, Muriel finit par tirer son épingle du jeu. « Des hordeux (joueurs appartenant au camp de la Horde, NDLR) n'arrêtaient pas de me tuer parce que je n'arrivais pas à me défendre. Après des mois, j'ai enfin réussi et on a fait la fête à la maison ! »

    Muriel alias Monidrood, troll druide/DR

    Muriel s'implique de plus en plus dans la vie de cette communauté en ligne. Elle finit même par s'occuper de La Légion du Chaos, la guilde créée par son fils. « Mon expérience professionnelle et ma maturité ont sans doute aidé pour la gestion et l'organisation », estime « Moni », surnom donné par son entourage. Elle est même partie à la rencontre, réelle cette fois, des officiers de sa guilde, à Avignon ou en Corse.

    Vivant toujours à la maison après d'autres problèmes de santé, elle continue à jouer régulièrement mais peut rester un ou deux jours sans mettre les pieds sur les serveurs. Muriel n'occulte pas pour autant le potentiel addictif du jeu et « la place un peu trop grande que "WoW" peut prendre à certains moments de la vie ». « Pour moi, c'était moins grave. Je n'avais pas la possibilité de faire autre chose », nuance-t-elle. Au contraire, « World of Warcraft » a aidé Muriel « à parler aux autres, à revenir un peu dans la société et à se reconnecter ».

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