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Les « Implant Files », enquête exceptionnelle sur l’aveuglement du système de contrôle des implants médicaux

Editorial. Lorsque la réglementation lèse l’intérêt général au profit d’intérêts particuliers, c’est le rôle et l’utilité du journalisme de le dévoiler.

Publié le 25 novembre 2018 à 20h00, modifié le 26 novembre 2018 à 08h40 Temps de Lecture 3 min.

Editorial du « Monde ». « Implant Files » est le résultat d’un travail journalistique coordonné par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et l’œuvre collective de quelque 250 journalistes de 59 médias internationaux qui ont enquêté, pendant plus d’un an, sur le monde trouble des dispositifs médicaux implantables – prothèses mammaires, pacemakers, stents, implants contraceptifs, etc.

Exceptionnelle, cette enquête ne l’est pas seulement par les moyens journalistiques mis en œuvre. Elle l’est aussi, et surtout, dans son intention et sa démarche. C’est la première fois que des médias internationaux forment une alliance aussi vaste, non pour exploiter et analyser une fuite de documents confidentiels, mais pour tenter de construire, ensemble, une ressource documentaire qui fait défaut : la cartographie des dégâts provoqués par ces outils peu, et parfois presque pas, réglementés.

Car, si les bénéfices de ces instruments thérapeutiques sont bien mis en avant par leurs fabricants, leurs risques demeurent, eux, maintenus dans une confortable pénombre. Le résultat de notre enquête suggère que ces risques sont pourtant considérables et gravement sous-estimés. L’exploitation des données publiques, aux Etats-Unis, indique que, en dix ans, le nombre d’incidents liés à ces outils approche des cinq millions et demi, avec comme conséquence près d’un million et demi de blessés et plus de 80 000 morts. Et tout indique que seule une petite fraction des dommages réels, sans doute moins de 10 %, est dûment enregistrée.

En Europe, et notamment en France, la situation est plus inquiétante encore : l’absence de suivi rigoureux des incidents, l’opacité du recueil d’informations ou la non-publicité des données recueillies rendent impossible toute évaluation sérieuse des risques liés à ces implants. Cette cécité n’est pas le fruit du hasard. Le moindre smartphone mis sur le marché dispose d’un identifiant unique et peut être retrouvé à peu près partout sur Terre, mais il est impossible de savoir combien de ces dispositifs médicaux – et lesquels – sont aujourd’hui implantés dans la population française.

Radiographie d'un stimulateur cardiaque

« Implant Files » le montre : au niveau européen, c’est l’ensemble de la réglementation régissant ces instruments qui se révèle dysfonctionnel. Les quelques scandales qui surviennent de temps à autre dans l’actualité (prothèses mammaires PIP, implants contraceptifs Essure, etc.) ne sont pas le résultat de fraudes isolées et imprévisibles, mais au contraire les conséquences logiques d’un système réglementaire défectueux. Quant aux timides avancées un temps envisagées au niveau communautaire pour mieux protéger les patients, elles ont été sapées par un lobbying agressif, auquel la Commission européenne s’est montrée singulièrement perméable.

Ce n’est pas tout. L’absence de suivi rigoureux des incidents, l’opacité de leur recueil ou la privatisation des données de surveillance s’ajoutent à un système de mise sur le marché, lui aussi profondément problématique. Le conflit d’intérêts y est une norme de fonctionnement. Dossiers incomplets déclarés recevables, défaut d’études sérieuses préalables à la délivrance des autorisations : en la matière, l’incurie des pouvoirs publics est accablante. Songeons que le point de départ de l’enquête « Implant Files » est un implant vaginal factice, bricolé par une journaliste néerlandaise à partir d’un morceau de filet à mandarines, qui a néanmoins rempli tous les critères pour être mis sur le marché.

La situation en France : Article réservé à nos abonnés « Implant files » : les incroyables lacunes de la surveillance en France

En matière de santé plus que sur tout autre sujet, les médias sont tenus à un devoir de traitement nuancé de l’information. Notre enquête ne fait pas exception. Il faut donc le rappeler avec force : dans de nombreuses situations, certains de ces dispositifs implantables se révèlent bénéfiques, parfois vitaux. C’est indéniable. Mais comment évaluer la balance bénéfice-risques, lorsque les risques sont occultés ? Comment réguler sans connaître ? Il ne s’agit donc pas pour le journalisme de se substituer à l’expertise, mais au contraire de mettre au jour un défaut d’expertise impartiale.

Lorsque, derrière le paravent du jargon et de la complexité technique, la réglementation dérobe à la société son droit à la délibération, à un choix éclairé, et qu’elle lèse l’intérêt général au profit d’intérêts particuliers, c’est le rôle et l’utilité du journalisme de le dévoiler.

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