Une vaste enquête internationale pointe le manque de contrôle des dispositifs médicaux.

Une vaste enquête internationale pointe le manque de contrôle des dispositifs médicaux.

afp.com/Miguel Medina

Le grand public l'avait découvert avec le scandale PIP, du nom de ces implants mammaires frelatés et commercialisés par milliers jusqu'à leur retrait en 2010 : le système européen de contrôle des dispositifs médicaux comporte de graves lacunes. Ces produits s'avèrent bien moins surveillés que les médicaments, alors qu'ils sont tout sauf anodins, puisqu'il s'agit de pacemakers, de prothèses et autres stents destinés à être implantés pendant de très longues années, voire à vie, dans le corps des patients.

Publicité

A l'époque, l'affaire tombe alors que l'Union européenne avait entamé une révision des règles relatives à ces équipements. En effet, au cours des années précédentes, d'autres produits avaient déjà dû être retirés du marché : "Il y avait eu des accidents graves, mais à chaque fois le nombre de victimes était assez faible, et cela n'avait guère attiré l'attention du public", se rappelle le Pr Alain Bernard, expert des dispositifs médicaux et ancien vice-président de la commission chargée de leur évaluation à la Haute autorité de santé.

Date d'entrée en vigueur du texte : 2020

Mais cette série d'événements indésirables, ainsi que d'autres survenus ensuite (dispositifs de contraception Essure, implants vaginaux...), n'ont pas empêché le processus européen de traîner en longueur, sous l'effet notamment d'un lobbying intensif des industriels du secteur. Au final, le texte définitif a été adopté l'an dernier seulement. Et encore, il n'entrera en vigueur qu'en 2020.

LIRE AUSSI >> Prothèses, implants, lasers : révélations sur un business hors contrôle

Pourtant, le dossier "Implant files", du nom de cette vaste enquête menée par 59 médias internationaux (Le Monde, Radio France et la société de production de Cash investigation pour la France) et publiée ces jours-ci, confirme à quel point il aurait fallu agir plus vite : 14 000 incidents recensés rien que l'an dernier en Allemagne, 20 000 au Royaume-Uni, 18 000 en France...

Des chiffres certainement encore sous-estimés, affirme le consortium de journalistes, tant l'opacité règne sur ce marché. Il semble d'ailleurs aujourd'hui encore possible de commercialiser tout et n'importe quoi : Cash investigation, dans son émission diffusée le 27 novembre, a ainsi montré comment ses enquêteurs ont réussi à obtenir toutes les autorisations nécessaires à la diffusion d'un appareil qui n'a en réalité jamais existé !

Le nouveau règlement européen suffira-t-il à mettre un terme à ces lacunes ? "Il reste très loin de ce qui était souhaitable, à savoir une véritable autorisation de mise sur le marché, délivrée par une autorité publique indépendante, avec des exigences équivalentes à celles en vigueur pour le médicament en matière d'évaluation clinique", regrette le Pr Alain Astier, de l'Académie de pharmacie.

Une proposition qui avait été défendue notamment par la France et par une partie des députés européens - en vain. Avec la publication des "Implant files", certains élus au parlement de Strasbourg voudraient remettre le sujet à l'agenda : "Un débat devrait être organisé en séance plénière prochainement. S'il est confirmé, nous pourrions encore espérer apporter des améliorations au texte", souligne la députée Michèle Rivasi.

Davantage de contrôles

En l'état, les règles adoptées vont toutefois déjà contribuer à répondre aux failles les plus criantes. Ainsi, les organismes privés chargés de donner le feu vert à la commercialisation des dispositifs (le fameux "marquage CE") seront mieux contrôlés par les pouvoirs publics, suivant des règles harmonisées. Jusqu'à présent chaque pays faisait un peu ce qu'il voulait, et il était de notoriété publique que certaines de ces sociétés de contrôles s'avéraient bien moins regardantes que d'autres. "En prévision de l'application de ce texte, une vingtaine ont déjà fermé", confirme Michèle Rivasi. Ces organismes seront en outre davantage spécialisés (aujourd'hui, ils peuvent examiner les dossiers de prothèses comme de jouets ou de réfrigérateurs), et auront l'obligation de recourir à des experts de la santé.

Les industriels devront aussi fournir à ces sociétés de contrôle des données cliniques relatives à la sécurité et au bénéfice pour les patients de leurs produits. Un minimum pour espérer repérer en amont les plus gros dysfonctionnements, alors que jusqu'ici, ce n'était pas forcément obligatoire : une simple analyse de la littérature scientifique sur des dispositifs similaires à celui examiné pouvait suffire !

Mais le diable se niche dans les détails. "Il n'est pas précisé quel type de données seront exigées, regrette le Pr Eric Vicaut, responsable du centre d'évaluation du dispositif médical de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris. Les industriels pourront se contenter de fournir des séries de cas de patients chez qui le dispositif aura été implanté, et non des essais comparatifs avec les traitements existants".

Or de tels essais, exigés pour les médicaments, sont en réalité le seul moyen d'évaluer correctement un dispositif. "Ce choix a été fait pour faciliter la vie des industriels, au nom de l'accès à l'innovation, décrypte le Pr Alain Bernard. Mais on oublie trop souvent que les innovations technologiques n'apportent pas toujours des bénéfices pour les malades".

Un numéro de série unique pour chaque implant

Un comité d'experts européens, nommés par les États, pourra toutefois cibler un certain nombre de produits et demander des études cliniques complémentaires avant qu'ils arrivent sur le marché. Mais quels experts ? pour quels types d'implants ? Sur la base de quels critères ? Et quelle valeur auront leurs avis ? "Malgré un texte de 1 700 pages, tout cela reste en réalité encore très flou", souligne une spécialiste du sujet à Bruxelles.

D'autres mesures plus techniques sont aussi prévues, comme l'obligation pour les industriels de recruter un pharmacien responsable (qui engage sa responsabilité sur la qualité du produit final, comme dans les laboratoires pharmaceutiques), ou de se doter d'une assurance pour indemniser les victimes en cas d'accident. "L'information des malades sera également renforcée", note le bureau européen des consommateurs. Les patients recevront une "carte d'implant" avec différentes informations : effets secondaires possibles, précautions à prendre, et surtout un numéro de série électronique unique du dispositif.

Ce numéro d'identifiant électronique pose les bases d'une amélioration de la traçabilité des produits. En l'état, cela permettra au moins de retrouver rapidement les patients porteurs de tel ou tel dispositif qui se révèlerait dangereux - ce qui avait été très compliqué dans le cas de l'affaire des prothèse PIP, par exemple.

Les industriels devront également alimenter une base de données européenne avec tous les incidents portés à leur connaissance. Seulement voilà, comme l'indique l'enquête du consortium, la mise en oeuvre concrète de cette mesure fait encore l'objet de tractations, et ces informations pourraient demeurer confidentielles. "C'est un point sur lequel le parlement européen pourrait peser", espère Michèle Rivasi.

Des actions possibles au niveau français

Reste que ces mesures ne suffiront pas, à elles seules, à améliorer la surveillance du marché."Elles étaient un préalable indispensable. Mais le système actuel va continuer à reposer sur la déclaration des incidents par les patients et les médecins. Or cela fonctionne très mal", regrette le Pr Eric Vicaut. Sur ce point, les pouvoirs publics français n'ont toutefois pas besoin de Bruxelles pour agir. Ainsi, le Pr Vicaut plaide depuis des années pour que chaque implant utilisé soit enregistré en même temps que l'opération elle-même dans la gigantesque base de données hospitalière. "Il deviendrait possible de suivre les patients implantés avec tel ou tel dispositif, pour voir par exemple s'ils sont fréquemment réopérés", souligne-t-il. Une mesure simple, proposée par cet expert dès le début des années 2010 dans un rapport remis au ministère de la Santé et demeuré confidentiel...

L'Académie de chirurgie défend de son côté la création de registres d'activité par spécialité, où tous les actes réalisés et les dispositifs utilisés seraient répertoriés, avec leurs éventuelles complications. Leur mise en oeuvre dépend toutefois des pouvoirs publics, mais aussi des professionnels de santé eux-mêmes. Les patients devront-ils attendre encore longtemps ?

Publicité