Tribune. De plus en plus de ressources, actuellement plus de 100 milliards de dollars (88,5 milliards d’euros) par an, sont consacrées à la répression des délits et crimes liés aux drogues dans le monde. Or, le marché illégal des drogues ne cesse de s’accroître et pèse aujourd’hui entre 425 et 650 milliards de dollars. Au mieux, les autorités ne parviennent à provoquer que des perturbations temporaires, localisées et marginales dans la production et l’approvisionnement en stupéfiants. Les coûts humains sont, en revanche, incalculables, la répression engendrant corruption, violations des droits humains, incarcérations de masse, violence et morts.
En tant qu’anciens chefs d’Etat, nous avons été en première ligne dans cette « guerre aux drogues » et nous savons pertinemment que c’est une guerre perdue, même d’avance. Nous avons combattu des chefs de cartel notoires tels que Pablo Escobar en Colombie. Nous avons vu des personnes incarcérées pour des délits mineurs liés aux drogues devenir des criminels endurcis. Nous avons vu la Guinée-Bissau minée par les trafiquants pour devenir le premier « narco-Etat » d’Afrique.
La demande pour des produits psychoactifs a toujours existé. Lorsque le marché pour la satisfaire opère dans l’illégalité et dans un contexte de violence criminelle et de répression légale, il produit de tels profits qu’il attire tous ceux qui sont laissés de côté dans l’économie légale. Alors que les marges sur le café peuvent aller du simple au quadruple entre le prix à la production et celui à la consommation, celles sur l’héroïne ou la cocaïne atteignent plus 15 000 % ! Lorsque la demande existe malgré ces prix de vente exorbitants, il y a toujours des personnes pour la satisfaire. C’est la loi du marché.
Oser changer de cap
Nous appelons donc les gouvernements et leurs représentants dans les institutions multilatérales à reconnaître ce qui est maintenant évident : nous ne pouvons éradiquer les drogues de la société ; chercher à le faire par une « guerre » ne provoquera que plus de douleurs pour nos populations déjà fragilisées, et affaiblira nos économies et nos institutions.
Alors que cette « guerre » est effectivement en accord avec les conventions internationales relatives au contrôle des drogues, elle est absolument contraire aux valeurs qui doivent nous guider comme communauté internationale. Nous devons nous rappeler que nous avons construit le multilatéralisme pour la paix, non pour légitimer des guerres absurdes comme celle contre les drogues.
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