SCIENCE - Un pays lancé dans une course technologique, abaissant de nombreux garde-fous éthiques. Un chercheur en particulier allant encore plus loin, franchissant les limites de l'acceptable via une modification génétique de bébés grâce à une technique prometteuse, mais bancale.
On croirait lire un scénario de science-fiction, mais c'est ce qu'affirme avoir fait He Jiankui, le 25 novembre: il a annoncé la naissance de deux jumelles, les premiers enfants génétiquement modifiés grâce aux révolutionnaires ciseaux génétiques Crispr-Cas9. Objectif: leur donner une mutation génétique leur permettant de résister au VIH.
Une affirmation qui reste à prouver (aucune étude n'a été publiée dans une revue scientifique pour l'instant), mais qui a déjà créé un véritable tollé international et a entraîné une enquête chinoise. Car si le pays est effectivement permissif sur le sujet (il a été le premier à autoriser des modifications génétiques d'embryons non-viables en 2015), une telle naissance est actuellement interdite en Chine.
En dehors même de la question éthique principale, il faut surtout rappeler que la technique utilisée par He Jiankui, Crispr-cas9, toute prometteuse qu'elle soit, est balbutiante. Et a encore de très gros défauts.
Des ciseaux génétiques à tête chercheuse
Crispr-Cas9, ce sont en quelque sorte des ciseaux à ADN reprogrammables, qui vont cibler un gène bien spécifique et couper l'ADN à cet endroit. Objectif: remplacer une version d'un gène par une mutation bénéfique. Pour en savoir plus, regardez notre vidéo explicative:
Depuis 2012, cette technologie a fait l'effet d'une bombe dans la recherche génétique. Simple, efficace et bon marché, elle est de plus en plus utilisée par les scientifiques pour tenter des modifications génétiques très variées, allant des plantes OGM 2.0 aux vaches insensibles à la tuberculose en passant par les cochons donneurs d'organes humains et la "résurrection" des mammouths.
Il est évident que Crispr-Cas9 est une véritable révolution pour le monde de la recherche et a énormément de potentiel, notamment pour la guérison de maladies génétiques. Mais la technologie est beaucoup trop jeune et encore assez méconnue.
Mutations collatérales et risques de cancer
C'est ce qui explique la violente réaction des chercheurs en génétique partout dans le monde. "L'embryon était sain. Il n'avait aucune maladie connue. L'édition génétique en elle-même est expérimentale et toujours associée à des mutations hors-cible, capables de causer des problèmes génétiques en début et en fin de vie, incluant le développement d'un cancer", affirme Julian Savulescu, professeur d'éthique à Oxford interrogé par le Guardian. "Si c'est vrai, cette expérience est monstrueuse".
En effet, si Crispr-Cas9 est incroyablement plus précis que les anciennes méthodes de modifications génétiques, il reste encore de nombreuses inconnues. Ainsi, plusieursétudes ont montré qu'une modification d'un gène pouvait également entraîner la modification d'autres gènes proches, voire éloignés dans les brins d'ADN. La dangerosité de Crispr-Cas9 fait pour autant débat chez les scientifiques.
Beaucoup pensent qu'il sera possible, à terme, d'encadrer ces effets secondaires. Surtout que la recherche continue d'inventer des dérivés de ces ciseaux génétiques, par exemple des crayons à ADN bien plus précis. Mais le débat est loin d'être fini et une solution globale semble encore loin d'être trouvée.
He Juankui affirme qu'il a trouvé peu de mutations non-désirées dans les embryons testés avant de procéder à cette première naissance de bébés génétiquement modifiés, rapporte la MIT Technology Review. Mais encore une fois, ces travaux ne sont étayés d'aucune preuve scientifique valable.
Un saut dans l'inconnu
En plus des limites de la technique, l'utilisation de Crispr-Cas9 dans ce cas précis pose des problèmes supplémentaires au simple fait de réaliser ce genre de modification dans un être humain adulte (des tests sont justement en cours en Chine pour tenter de guérir le cancer du Poumon). Car en modifiant les gènes d'un embryon, vous modifiez potentiellement tout son ADN, pas uniquement des cellules bien spécifiques, porteuses d'une maladie ou d'un défaut.
Cela veut dire que cette modification sera présente dans les cellules reproductrices et, donc, dans toute la descendance des deux bébés modifiés génétiquement. C'est une des plus grosses critiques opposées à He Juankui.
Autre gros problème de l'opération: les embryons étaient sains. Il faut rappeler que même si les pères qui ont été cobayes dans ce projet étais tous séropositifs, les traitements actuels permettent de s'assurer que l'enfant d'un père séropositif ne sera pas atteint par le virus.
Mais alors pourquoi avoir fait cela? Pour proposer aux couples touchés par le VIH d'avoir la chance d'avoir un enfant totalement protégé d'un tel destin, affirme le Guardian. Car le gène modifié, CCR5 immunise, ou rend en tout cas très résistante au VIH la personne porteuse.
Le pire dans tout ça? Même si tout fonctionnait à merveille, la mutation du gène CCR5 protégeant du VIH tend à augmenter les risques d'être atteint d'autres virus, rappelle au Guardian Kiran Musunuru, spécialiste de l'édition génétique à l'université de Pennsylvanie.
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