Un catholique n’a pas d’alliés. Correspondance Maritain-Bernanos-Claudel-Mauriac, édité par Henri Quantin et Michel Bressolette, Cerf, 362 p., 24 €.
Il y a une crise de la sincérité. Cette crise coïncide avec le déchaînement d’un bruit si véhément qu’il interdit tout échange attentif, la moindre parole authentiquement adressée. Les réseaux sociaux et leurs puissants haut-parleurs tiennent lieu d’amplificateurs. Sur Twitter, le vain tumulte des « interactions » nourrit la spirale des « clashs » assourdissants. La haine fait écho à la haine. La mauvaise foi partout se répercute. On ne s’entend plus. Accoutumés à ce vacarme, nous le remarquons à peine. Sauf, par contraste, quand advient ce petit miracle : soudain, au milieu du brouhaha, un dialogue fait effraction, une voix se fraye un chemin vers une autre voix, laquelle lui répond en vérité, comme si leur échange se déroulait non pas au milieu d’une arène tapageuse, mais dans le silence d’une confiance vivace, et de cette amitié dont Roland Barthes disait qu’elle forme « un espace d’une sonorité totale ».
« A l’écoute du son des âmes »
Ce sentiment d’exception, peut-être faut-il se tourner vers les livres pour le retrouver. Il vous saisit dès l’ouverture de la correspondance publiée par les éditions du Cerf sous le titre Un catholique n’a pas d’alliés. Ce livre rassemble des centaines de lettres, dont un certain nombre inédites, signées François Mauriac, Paul Claudel, Georges Bernanos et Jacques Maritain. Quatre écrivains ayant en commun une même foi, un même rapport déchiré à l’événement, et aussi, nous y revoilà, une même façon de se mettre « à l’écoute du son des âmes », selon l’expression qu’utilise l’admirable Raïssa Maritain dans Les Grandes Amitiés (Desclée de Brouwer, 1949). Convertie comme lui, Raïssa était l’épouse de Jacques Maritain, philosophe et éditeur issu de la bourgeoisie protestante, qui joua un rôle de sentinelle parmi les intellectuels catholiques, durant l’entre-deux-guerres. Cette haute figure se tient au centre du présent volume, les trois autres auteurs gravitant autour du « doux Maritain », auquel ils expédient des mots qui ne le sont pas toujours.
Car sincérité ne signifie pas mièvrerie. Au contraire, c’est parce que l’échange de lettres fonde un lieu de franchise qu’il exige une tendre frontalité. Surtout quand vient l’heure de trancher dans le vif de l’histoire. Or la période qu’embrasse cette correspondance est hérissée de choix cruciaux, autour de l’Action française (AF) condamnée par le pape Pie XI en 1926, de la guerre d’Espagne et de la seconde guerre mondiale.
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