Empire des chimères, d’Antoine Chainas, Gallimard, « Série noire », 672 p., 21 €.
Il y a manifestement quelque chose de pourri à Lensil, « bled perdu » sans indication géographique précise, n’était qu’il est situé dans une province française où la terre est grasse et les forêts profondes. Est-ce parce que, un jour de 1983, une fillette y a brutalement disparu ? Que des ados désœuvrés s’y livrent à des jeux de rôle peuplés de loups et de lombrics ? Ou qu’un géant américain du divertissement mondialisé cherche à y implanter un parc d’attractions avec l’appui d’un haut fonctionnaire peu scrupuleux ?
Suspicion
Toujours est-il que les maisons, les rues, les murs des appartements se couvrent peu à peu d’une moisissure putride dont les filaments progressent à mesure que le village s’enfonce dans la suspicion. Antoine Chainas en arpente les moindres recoins, emboîtant le pas de son personnage principal, un garde champêtre hanté par la guerre d’Algérie et ses « corvées de bois », chargé de l’enquête sur la fillette volatilisée.
Davantage encore que dans ses précédents romans (Versus, Gallimard, 2008 ; Pur, Gallimard, Grand Prix de la littérature policière 2014), l’écrivain et traducteur, figure singulière de la « Série noire », s’écarte des voies classiques du polar pour déployer ses talents de conteur vers d’autres univers.
Symbiose
Epopée naturaliste (scarabées pique-prune et corneilles animent le bestiaire) teintée de fantastique, roman d’émancipation adolescente, précis d’urbanisme moderne (après les résidences sécurisées du sud de la France, dans Pur, place ici à l’enfer des villes théorisées par Disney), Empire des chimères entrecroise les narrations, les lieux (Lensil, Los Angeles) et les époques dans un récit choral à l’élégante fluidité.
Hommes et nature se décomposent, puis renaissent en symbiose au fil de ce jeu grandeur nature où rôde parfois le fantôme de David Lynch. Habile maître de cette partie où réel et fantasmagorie se confondent, Antoine Chainas se fait l’entomologiste d’un petit bout de France vacillant sur ses racines.
Lire un extrait sur le site des éditions Gallimard.