Fin 2017, le mouvement #MeToo a pris une ampleur mondiale et il m'était impossible d'échapper à cette actualité qui était dans l'air du temps. C'était aussi le point de départ de mon passé qui a ressurgi sans prévenir, 23 ans après le viol. Un passé que j'avais souhaité oublier mais j'ai dû y faire face, pour faire ce que j'avais été incapable de faire lorsque j'avais 15 ans. Il m'a fallu attendre toutes ces années pour pouvoir être enfin prête à franchir ce pas, trouver le courage qui me manquait quand j'étais enfant, la force d'affronter une fois pour toutes mes démons intérieurs et la volonté d'aller cette fois jusqu'au bout. Cet acte a bouleversé ma vie...
En novembre 2017, je portais plainte pour viol sur mineure. Il y a un an exactement, j'étais reçue à la Brigade de Protection des Mineurs de la Police Judiciaire de Paris. Mon audition a duré près de 5 heures, certainement parmi les heures les plus longues de ma vie... Mais je ne regrette rien, au contraire je suis très fière d'être allée jusqu'au bout. Quel soulagement depuis, et quel chemin parcouru en une année!
J'arrive à peine à réaliser qu'il s'est déjà passé un an depuis ce jour où j'ai affronté mes peurs et réussi à surmonter mon passé. J'ai eu envie d'écrire cet article comme un cadeau que je me fais à moi-même pour l'anniversaire de mon dépôt de plainte, et dresser le bilan de ce qui s'est passé dans ma vie, depuis ce jour de novembre 2017 où j'ai repris ma vie en main.
Allongement de la durée de prescription
Un des gros changements depuis mon dépôt de plainte: une nouvelle loi a été adoptée en 2018. La durée de prescription pour viol sur mineur a été rallongée de 10 ans. Le délai de prescription est passé de 20 à 30 ans à partir de la majorité de la victime pour les viols sur mineurs. Aujourd'hui, avec cette nouvelle loi, une victime a jusqu'au jour de ses 48 ans pour porter plainte pour viol si elle était mineure au moment des faits.
Malheureusement, la nouvelle loi n'a pas d'effet rétroactif, ce qui signifie qu'un crime prescrit ne peut plus être jugé même si la loi change. Lorsque j'ai porté plainte l'année dernière, je dépendais encore de l'ancienne loi, et il y avait prescriptiondans mon cas.
De l'écriture au blog
J'ai commencé à écrire avant mon dépôt de plainte, j'avais besoin de coucher sur papier mes sentiments, mes émotions (qui pouvaient varier selon les jours), mes doutes, mes peurs, le stress et l'angoisse qui montaient lorsque la date de l'audition se rapprochait. J'avais besoin que cela sorte enfin de moi. J'ai pris mon stylo à plume d'écolière, celui que j'avais gardé depuis le collège, et j'ai ainsi noirci des pages d'un cahier que j'ai appelé mon "Journal de guérison". Écrire ce qui m'était arrivé m'a beaucoup aidée pour préparer mon audition à la police, pour pouvoir retracer chronologiquement les faits, et pour ne rien oublier d'important car le crime datait de plus de 23 ans auparavant.
J'ai continué à écrire après mon dépôt de plainte lorsque la Brigade de Protection des Mineurs de Paris a refusé de me donner la copie de ma plainte. J'ai vécu cela comme une injustice de me sentir ainsi dépossédée de ma propre histoire, et il m'est venu une furieuse envie d'écrire pour ne pas oublier, pour laisser une trace de cet acte de courage qu'est de porter plainte... Oui, il faut se faire violence, dépasser ses peurs et ses propres limites pour pouvoir porter plainte pour viol, et c'est sans doute l'une des choses les plus difficiles que j'ai faites dans ma vie... Mais aujourd'hui je suis si heureuse et fière d'être allée jusqu'au bout malgré la prescription!
Puis un matin, il m'est venu une soudaine envie d'écrire plus que mon récit du dépôt de plainte. Cela ne me suffisait plus. J'ai eu une envie de partager mon histoire, d'apporter mon témoignage, raconter mon parcours personnel, et ce long chemin pour en arriver là. C'est ainsi qu'est né ce blog: ce sont ces écrits qui ont alimenté ce site que j'ai ouvert en février 2018. J'ai découpé mon "journal de guérison" sous formes d'articles, et c'est ainsi que je me suis lancé dans cette belle aventure!
Mes formations auprès d'associations
Après le lancement de mon blog ainsi que tout ce travail d'écriture et d'introspection, j'ai eu envie de m'engager personnellement dans cette cause qui m'est particulièrement chère, encourager la libération de la parole de la femme. Je me suis donc formée auprès d'associations féministes luttant contre les viols et violences sexuelles pour apprendre sur ce sujet, comprendre la stratégie de l'agresseur, le processus de reconstruction, et l'envie de rencontrer des personnes engagées dans cette cause. C'est ainsi que j'ai participé à une série de formations passionnantes cette année, entre février et septembre, notamment:
- une formation sur les violences sexuelles et leurs caractéristiques qui s'appelle "les bases", avec l'association Stop Violences Sexuellesla prévention des mutilations sexuelles féminines et mariages forcés, auprès du Collectif féministe contre le viol (CFCV)l'accompagnement solidaire de victimes de viols aux procès (formation CFCV)organiser et animer des débats et formations sur les violences faites aux femmes (CFCV)créer et animer des groupes de parole de femmes victimes de violences sexuelles (CFCV)faire émerger et recevoir le récit des femmes victimes de violences (CFCV)
Ces formations m'ont passionnée, et j'ai beaucoup appris auprès de ces associations . Et cela m'a permis de faire de belles rencontres!
Mon bilan de compétences
En parallèle avec mon cycle de formations auprès d'associations féministes, j'ai réalisé également un bilan de compétences début de cette année. Il a duré environ 4 mois.
C'était un travail passionnant, pour aller encore plus loin dans la découverte de soi, et je dirais que pour moi c'était complémentaire de ma thérapie que je réalisais aussi à ce moment-là. Avec ma consultante, nous avons fait un travail sur mes forces, mes savoir-faire, mes valeurs, mes moteurs, mes rêves, et cela m'a orienté vers le coaching.
Une très belle rencontre humaine, ce sera sans doute l'occasion d'en parler dans un futur article!
La fin de ma psychothérapie
Mon travail thérapeutique commencé en 2017. Après un an de travail avec ma psychothérapeute, ma thérapie a pris fin il y a quelques mois. Cette année de thérapie m'a été très bénéfique, j'ai fait un gros travail sur:
- la culpabilitéretrouver son enfant intérieureapprendre à poser mes limites et me respecter pour ne plus subir dans ma viealler plus loin dans la connaissance de soiet m'a permis de faire un grand bond en avant dans ma vie
Je suis très heureuse d'avoir fait ce travail thérapeutique, il est indéniable que cela m'a énormément aidée à avancer avec confiance sur mon chemin. Une très belle rencontre dans ma vie, je remercie de tout cœur ma thérapeute pour son accompagnement.
Pour en savoir plus, j'ai écrit un bilan de cette année de thérapie dans cet article.
Création de l'association "Les Résilientes" et ses missions
Suite à mes formations auprès des associations luttant contre les violences sexuelles, j'ai souhaité m'engager en tant que bénévole auprès d'elles. Malheureusement, je n'avais pas trouvé de mission qui me convenait à cette époque. C'est ainsi que j'ai décidé de créer ma propre associationen juillet de cette année, et me lancer dans un sujet qui me passionne: la création et l'animation de groupes de paroles.
Après avoir rencontré des filles qui avaient vécu ce type de violences et après leur avoir parlé de mes formations, l'une d'elles m'a donné l'idée et surtout l'impulsion qui me manquait pour me lancer à mon tour.
Je me suis alors demandé: qu'est-ce qu'il me faudrait pour ce réaliser ce projet?
- une formation: je l'avaisune structure: c'est ainsi que j'ai créé mon association qui s'appelle tout comme mon blog "Les Résilientes"des filles: je me suis dit que si j'avais quelques personnes intéressées pour y participer à la rentrée, je me lançais!
C'est ainsi qu'en septembre, j'ai commencé cette belle aventure des groupes de parole: accompagner des femmes extraordinaires sur le chemin de leur reconstruction pour avancer ensemble vers le meilleur de nous-mêmes. Une magnifique aventure humaine, où nous apprenons chacune les unes des autres et où nous grandissons ensemble.
En octobre, grâce à l'engagement d'une femme d'exception qui est avocate pénaliste, mon association s'enrichit d'une permanence juridique pour aider et conseiller les femmes victimes de viols et violences sexuelles sur leurs droits.
Reprise de mes études: ma formation de coach
En septembre, j'ai repris les bancs de l'école. J'ai repris mes études et commencé une formation de coach professionnelle qui durera encore plusieurs mois. C'est une formation passionnante que je fais d'abord dans un but de développement personnel pour aller encore plus loin dans la connaissance de soi, mais elle me permet aussi d'apprendre des outils, une éthique et une posture de coach.
Je suis ravie de cette formation et des rencontres inspirantes que je fais. Je n'ai qu'une hâte, continuer à apprendre encore et toujours!
En conclusion
Il y a un an, on m'aurait dit que j'aurai fait tout cela, je ne l'aurai jamais cru... Il y a un an exactement, je suis allée aussi loin que je pouvais aller au niveau de la société: porter plainte malgré la prescription, pour que la société reconnaisse le préjudice que j'ai subi dans mon enfance. J'ai eu besoin de voir ces 4 lettres qui forment ce mot intolérable écrit noir sur blanc sur un document officiel représentant l'État français: VIOL sur mineure.
Je n'aurai jamais imaginé l'impact que ce dépôt de plainte aurait eu sur ma vie. Si je n'avais pas porté plainte l'année passée, je n'aurai pas pu réaliser tous ces projets, j'en suis certaine. C'est parce que j'ai fait cet acte hautement symbolique 23 ans après les faits que j'ai pu clore ce chapitre de ma vie, tourner enfin la page, et me libérer. Je ne pensais pas qu'en réussissant à surmonter ce passé que je n'ai pas choisi et que j'ai subi, je choisirais finalement de lui en donner un sens.
Aujourd'hui, pour l'anniversaire de ce dépôt de plainte, moi qui n'aime pas tellement me retourner vers le passé, je m'autorise à regarder en arrière pour voir tout ce chemin parcouru, et me dire que je suis fière de moi et de la femme que je suis devenue.
À voir également sur Le HuffPost: