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Food

Gardez vos conseils d’épargne pour vous, merci

Je suis pauvre, alors arrêtez de me dire quoi faire avec l’argent que je n’ai pas.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Une femme mange des frites pendant que des gens la jugent.
Illustration : Daniel Zender

Depuis que je suis dans la vie active, on ne peut pas dire que je roule sur l’or. Je gagne ma vie en faisant des sandwichs. Avant ça, c’était des smoothies. Encore avant, la plonge. Même si je suis allée à l'université, convaincue qu’un diplôme m’aiderait à trouver un emploi, j'ai probablement toujours été destinée à cette condition de pauvreté. Je viens d'une famille modeste. J'ai été élevée par une mère célibataire de la classe ouvrière qui m’a fait déménager d’appartement en appartement, de caravane en caravane. Enfant, les repas gratuits à l’école étaient ma seule source de nutrition.

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L'année dernière, j'ai travaillé environ 60 heures par semaine, jonglant entre deux emplois à temps partiel dans des restaurants et des bars (ainsi que quelques petits travaux ci et là) pour joindre les deux bouts. Au total, j'ai gagné 20 000 euros l’année. Ça craint.

À un moment donné, j’ai même tapé dans Google « pourquoi suis-je pauvre » et « comment cesser d’être pauvre ». Selon Internet, les raisons de ma pauvreté sont évidentes : je sors trop (je ne sors jamais, je suis trop fatiguée pour ça), je n'ai pas de compte épargne (je n'ai pas assez d'argent pour en ouvrir un), et enfin, je prévois mal mes dépenses (je prévois de payer mon loyer, puis de pleurer dans un coin en attendant le prochain chèque de paie, est-ce que ça compte ?).

Selon la croyance populaire, si vous êtes pauvre, c’est de votre faute, et c’est donc à vous de résoudre le problème. Ce n’est pas de la faute de votre employeur qui vous paie trop peu. Ce n’est pas de la faute des fonctionnaires locaux qui approuvent la construction d’immeubles résidentiels de luxe dans votre quartier. Ce n’est pas à cause du coût de la vie qui monte en flèche. Encore moins à cause des grandes entreprises qui font des transactions financières au détriment des travailleurs. Non, chère vendeuse de sandwichs. Si tu es pauvre, c’est clairement à cause de ce cappuccino que tu t’es offert à 16 heures pendant ta pause. Honte à toi.

Mettons les choses au clair : non seulement il est tout à fait légal de dépenser de l'argent pour soi, mais c’est aussi, pour les personnes à faible revenu, un mécanisme d'adaptation tout à fait normal.

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LE RAISONNEMENT DU PAUVRE

Ce qui vous empêche d'épargner ou qui vous pousse à dépenser pour des choses apparemment futiles est ce que j'appelle le « raisonnement du pauvre ». En gros, c’est quand vous savez qu’il ne vous reste plus que 40 € pour tenir jusqu’à la fin de la semaine suivante et que vous en dépensez 20 le soir même sur Deliveroo. C’est un échec du point de vue de l’épargne, mais en même temps, c’est une dépense nécessaire pour trouver la force de serrer les dents et d’avancer.

LA RÉFLEXION A COURT TERME

J'ai discuté avec Linda Tirado, auteure de Hand to Mouth: Living in Bootstrap America. Selon elle, il est inutile d’essayer de se conformer aux attentes habituelles en matière de gestion d’argent si vous gagnez peu. « Vous vous adapterez mieux à votre situation si vous réfléchissez à court terme. Si votre salaire est faible, il ne sert à rien de vous fixer les mêmes objectifs financiers qu’un travailleur avec un salaire intermédiaire. De même qu’il ne sert à rien d’ouvrir un compte d’épargne si vous n’arrivez déjà pas à payer votre loyer. » De nombreuses recherches récentes sur le sujet confirment son point de vue.

Comme l'explique Tirado, « si vous avez un revenu très faible, le concept même d'épargne et d'investissement n'existe pas, car vous ne pouvez pas vous permettre le luxe de penser à long terme, vous ne pouvez que formuler des hypothèses. »

Je travaille tout le temps, mon corps est sur le point de s'effondrer, j'ai supprimé toutes les dépenses inutiles imaginables et malgré tout, j'ai toujours du mal à payer mon loyer. Pourquoi ? On en revient à ce raisonnement du pauvre : Je vais morfler, que j’achète cette barquette de frites ou pas, alors autant l’acheter. « Il n’y a aucune raison de repousser cet achat sur le long terme, puisque vous ne savez pas si l’avenir sera meilleur que le présent », déclare Tirado. Alors achetez ces frites et profitez.

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LES CONSEILS D’ÉPARGNE NE VALENT QUE POUR LES PERSONNES DE LA CLASSE MOYENNE QUI FONT DE MAUVAIS CHOIX

Les conseils d’épargne s'adressent à la classe moyenne. Si vous avez un revenu moyen, vous disposez d'une plus grande marge de manœuvre pour gérer vos finances. Par exemple, vous pouvez acheter un nouvel iPhone chaque année. Vous pouvez partir en vacances, quitte à être dans le rouge pendant une brève période. Vous n’avez probablement pas de compte épargne parce que vous aimez voir tous ces zéros sur le relevé de votre compte courant. Les conseils financiers s'adressent donc aux personnes financièrement stables qui font de mauvais choix financiers, comme, je ne sais pas, investir dans le bitcoin cette année ou se faire une frange après une rupture.

En outre, ces conseils renforcent les stéréotypes négatifs vis-à-vis des personnes à faible revenu et attisent les critiques envers celles qui ne peuvent pas se permettre de les respecter : Si vous êtes pauvre, c’est parce que des fois, vous vous achetez des gâteaux. Vous, travailleur au SMIC, êtes à deux doigts de vous faire expulser de votre appartement tout simplement parce que vous ne fournissez pas assez d’efforts.

Par conséquent, le meilleur conseil que vous puissiez donner à une personne en difficulté financière, c’est de ne pas lui en donner du tout. Vous seul savez ce que vous devez faire pour survivre jusqu'à la semaine prochaine. Vous seul connaissez la différence entre dépenser pour survivre et gaspiller pour rien.

ALLEZ-Y, ACHETEZ CETTE BARQUETTE DE FRITES

Peut-être que la seule chose que nous autres, les pauvres, pouvons faire est d’accepter notre condition. Accepter nos difficultés économiques, retrouver cette autonomie que nous ne méritons soi-disant pas, ne serait-ce que pour contrarier tous ceux qui nous considèrent comme inférieurs parce que nous gagnons moins qu’eux. Je suis pauvre et j'aime me faire des masques pour me remonter le moral. Je suis pauvre et j’aime manger des repas que je n’ai pas préparés lorsque je suis trop fatiguée pour continuer. Jetez-moi la pierre.

Si, comme moi, vous êtes pauvre, prenez un jour de congé de temps à autre et utilisez-le pour recharger vos batteries. Vous savez combien d'argent vous avez. Vous savez comment vous le dépensez. Dominez votre besoin de survivre et décidez de vivre pour le moment présent. Et riez. Riez très fort, la bouche pleine de frites, face à quiconque essaie de vous faire culpabiliser.

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