INTERVIEW«Les éditeurs d’imaginaire ont arrêté d’envoyer leurs livres aux jurys»

A quand un Goncourt pour un roman fantastique? «Les éditeurs d’imaginaire ont arrêté d’envoyer leurs livres aux jurys»

INTERVIEWLe journaliste et directeur des éditions Actusf revient sur l’absence de romans de science-fiction ou fantastique parmi les prix littéraires…
Graziella Le Norcy

Graziella Le Norcy

La saison des prix littéraires s’achève sur un nouveau constat de manque de diversité. Comme chaque année, aucun roman fantastique ou de science-fiction ne figure parmi les lauréats. Les littératures de l’imaginaire ont leurs propres prix. Et il vaut mieux pour eux, le Goncourt n’a plus été remis à un roman d’anticipation depuis 1903, année de création du prix, avec Force ennemie de John-Antoine Nau

Jérôme Vincent directeur des éditions Actusf et du site actusf.com, évoque pour 20 Minutes le rapport de l’imaginaire aux prix littéraires.

Qu’est-ce que représentent les genres littéraires de l’imaginaire en France ?

Les littératures de l’imaginaire représentent 4 % de la production littéraire totale et 7 % du chiffre d’affaires global de l’édition. On peut les voir comme un marché de niche de plus en plus florissant. Il y a d’un côté plusieurs grands groupes, qui éditent également d’autres genres que l’imaginaire, comme Albin Michel. De l’autre côté, on retrouve des maisons indépendantes dont la plus connue est Bragelonne, qui se classe 26e sur 200 éditeurs.

Certains domaines de l’Imaginaire s’en sortent mieux que d’autres, comment l’expliquez-vous ?

Dans les 20 dernières années, l’Imaginaire est devenu accessible à tous. On en consomme dans le cinéma, les séries, les jeux vidéo… Certains rencontrent de grands succès comme la franchise des Animaux Fantastiques actuellement, les Stars Wars, et bien d’autres. Mais même si le genre explose dans certains domaines, ça ne ruisselle pas sur le monde du livre pour autant. Il y a une véritable problématique liée au livre et à son réseau.

Est-ce que vous estimez qu’il y a un certain mépris de la part des jurys littéraires pour l’imaginaire ?

Il n’y a pas de rancœur ni de haine envers les jurys, ils ne sont pas méchants et sont ouverts si on les sollicite. Mais il y a tout de même un ostracisme par défaut. Donc un léger renouvellement des jurés ne ferait pas de mal, comme dans tous les domaines. Personnellement, je ne ressens aucun mépris de la part des jurys. Les jurés des grands prix n’ont pas forcément d’appétence pour l’imaginaire, ils n’y sont pas particulièrement intéressés et ne les privilégient donc pas, comparé à la littérature dite « blanche ». Ça dépend beaucoup de la thématique des livres. Cette année, c’est un auteur qui s’est fait connaître avec du polar qui a été primé au Goncourt, on peut voir ça comme une évolution.

Est-ce que les prix comme le Goncourt peuvent avoir une importance pour l’Imaginaire ?

Bien sûr, ce genre de prix apportent de la légitimité. On ne crachera jamais sur ce genre d’opportunités. On ne fait pas partie d’une littérature à part donc il est tout à fait possible d’être primé comme n’importe qui. Mais à force de ne jamais avoir eu de retour, les éditeurs d’Imaginaire ont arrêté d’envoyer leurs livres aux jurys…

Comment changer les choses ?

L’année passée, plusieurs maisons d’édition se sont associées. On a décidé avec Le Bélial, Critic, Les Moutons électriques et Le Peuple de Mü d’envoyer une sélection de titres à l’académie Goncourt. Ça permet une meilleure visibilité collective. Les États Généraux de l’Imaginaire ont aussi permis de mettre en place des actions concrètes.

Le Mois de l’Imaginaire, en octobre, est mis en place par un groupe de 44 éditeurs, et permet de faire parler de l’imaginaire. Depuis le lancement de ces actions l’année dernière, il n’y a jamais eu autant d’articles sur le sujet. Il faut se botter le cul et réveiller les maisons d’édition de l’imaginaire.

Et pour qu’un roman fantastique remporte le Goncourt ?

Il faut que les grands prix littéraires s’intéressent à nous et que l’on s’intéresse à eux. Le genre s’est construit sans les prix littéraires. On pourrait penser qu’on n’en a par conséquent pas besoin, mais j’opterai pour la solution inverse. A nous de travailler pour susciter leur intérêt. On pourrait essayer le conflit mais je suis plus partisan de sourire et d’expliquer pourquoi nos livres sont importants. Même si l’intérêt pour l’imaginaire évolue vite, on ne doit pas rester sur nos acquis. On doit se remettre constamment en question pour faire mieux chaque année et sortir de l’entre soi.

Trouvez-vous qu’il y a une amélioration de la perception de l’imaginaire chez le grand public ?

Les choses ont pas mal évolué ces dernières années. L’imaginaire se fait une place de plus en plus grande dans la société. Les affluences dans les salons de l’imaginaire démontrent que ça intéresse un grand nombre de personnes, curieux ou amateurs de longue date. Les Utopiales de Nantes ont comptabilisé 90 000 visites cette année, c’est énorme ! La Grande Librairie a fait une émission sur Tolkien et devait en faire une sur Robin Hobb, qui a reçu les honneurs d’une conférence au Salon du livre de Paris. L’évolution est positive.

On reproche aux prix littéraires d’être « une affaire d’hommes ». Qu’en est-il dans l’imaginaire ?

On a fait une étude récemment sur l’imaginaire, qui est assez parlante. Un tiers des livres publiés aujourd’hui en SF et en Fantasy sont l’œuvre d’autrices. Et dans les catégories «romans », elles ont eu 22 % des prix francophones sur les 12 dernières années. Bien sûr, ce n’est pas suffisant mais ces chiffres sont en hausse chaque année. La littérature est un bon moyen de promouvoir la diversité et les genres de l’imaginaire ont cela très à cœur. Ce sont des thématiques sociétales très importantes, que chaque acteur à l’échelle de la société doit travailler, car on fait face à du sexisme intégré. Il est temps de faire bouger les lignes.

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