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LUCA LOCATELLI POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

Le marbre de Carrare broie du noir

Par  et
Publié le 30 novembre 2018 à 06h32, modifié le 30 novembre 2018 à 06h32

Temps de Lecture 17 min.

C’est une montagne magique. Un géant de pierre, dont les membres s’étendent là, comme sur un crucifix. Cloué entre la chaîne des Apennins et la Méditerranée, au nord-ouest de la Toscane, juste avant qu’elle ne croise la Ligurie. Il se fait appeler Alpes apuanes, culmine à 2 000 mètres d’altitude, porte d’augustes cheveux d’argent.

Drapé d’éternité, ce dieu inerte veille sur les villes de Carrare et de Massa, en contrebas ; deux cent mille mortels à ses pieds. Toute la vallée est rivée à l’or blanc qui coule de ses veines – ce marbre d’une finesse extraordinaire, dont la couleur est aussi lunaire que le prix.

Loué déjà par Pline l’Ancien

En a-t-il jamais été autrement ? Les Anciens, déjà, vénéraient cette divinité minérale. Des carrières qui balafrent ses flancs, ils disaient qu’elles cicatrisent toutes seules. « Ceux qui les exploitent affirment que ces plaies des montagnes se comblent spontanément », prétendait Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle. C’était il y a deux millénaires, quelques années après la naissance de Jésus-Christ ; c’était hier.

Aujourd’hui, contre quelques euros, les touristes visitent dévotement les carrières abandonnées, reconverties en musées à ciel ouvert. Plus sûres et moins bruyantes que celles, non loin, encore en activité. Plus propices à la rêverie, aussi. Où que l’on plonge son regard, l’épopée d’un pays entier, l’Italie, s’offre à l’imagination, servie sur un plateau marmoréen. Nul besoin de guide ni de pelle ; il suffit de creuser avec les yeux.

Dans les Alpes apuanes, dans le nord-ouest de la Toscane, les sommets portent les stigmates de l’excavation des blocs de marbre et de ses rebuts.

Ces entailles, au faîte de la montagne ? Sans doute la Rome des empereurs. Après tout, ce sont leurs esclaves qui, les premiers, puisèrent ici la matière du Panthéon, du forum de Trajan, de la pyramide de Cestius. Ces stigmates, à même les monts ? Peut-être Michel-Ange. Le sculpteur florentin arracha la chair de son David et de sa Pietà dans les parages.

Ces brèches, si haut perchées ? Serait-ce le Vatican, sous l’injonction de qui tant de bondieuseries sortirent des roches alentour ? Un coup des anarchistes, qui, à la fin du XIXsiècle, consolidèrent leur mouvement à l’ombre des carrières ? Ou la trace des fascistes, dont l’architecture monumentale sacralisait ce marbre d’une édifiante pureté ?

Quatre millions de tonnes par an

En 2017, il a émis un grondement sourd : à la suite d’une varata – opération consistant, pour des raisons de sécurité, à faire sauter à l’explosif un pan de la montagne –, un écroulement de 30 000 tonnes a fait tressaillir Carrare. La plainte a été assimilée par les sismologues à un léger tremblement de terre.

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