Etre un fugitif à Gaza réclame une ingéniosité particulière. Où fuir ? Le territoire palestinien sous blocus ressemble à une cour de prison aux entrées sévèrement gardées. Le plus simple, le plus absurde aussi, est encore de se terrer chez soi, comme Khaled Abou Amar. Lorsqu’il pénètre dans l’immeuble délabré où vit sa famille, dans le camp de Boureij, ce jeune homme de 22 ans jette un œil inquiet aux environs. A l’étage, il n’enlève pas ses chaussures pour être prêt à déguerpir à la moindre alerte. La police le recherche. Une patrouille est passée ce matin, encore en vain. Un jour, il est parvenu à leur échapper en s’enfuyant par la fenêtre étroite du salon.
Cela fait quatre mois que Khaled vit ainsi, la peur au ventre, embrassant sa fillette avec la chaleur des adieux imminents. Tout cela parce qu’il doit de l’argent, l’équivalent de 1 800 euros, soit le reliquat du crédit contracté pour financer son mariage. « J’ai insisté pour qu’on s’unisse, parce que j’avais peur de perdre ma femme. » Sur la photo portrait prise le jour de la cérémonie, Khaled fait le coq dans son costume de location, les mains dans les poches. « Ensemble à jamais », promet la légende. Avec le recul, reconnaît-il, cette précipitation n’était sans doute pas bien inspirée. Mais à l’époque, il y a deux ans, il vendait des vélos et travaillait sur des chantiers, comme son père, Jihad, qui recevait en plus un salaire de fonctionnaire de l’Autorité palestinienne (AP). Depuis, tout s’est effondré.
L’asphyxie économique de Gaza et les mesures punitives décidées par le président de l’AP, Mahmoud Abbas, contre les fonctionnaires, afin que le Hamas renonce au contrôle du territoire, ont entraîné la famille Amar vers le fond. Impossible, pour elle, de rembourser les 4 400 euros du crédit bancaire contracté en guise de dot pour la mariée, ainsi que l’emprunt pour la cérémonie fait auprès d’une association spécialisée dans l’organisation de ce type d’événements. Assis sur un matelas à même le sol, Jihad montre un message de la banque sur son vieux téléphone portable. Son compte est dans le rouge. « La police ne veut pas m’arrêter car j’ai bonne réputation, explique-t-il. Alors, ils essaient d’avoir mon fils. Je leur ai dit : donnez-lui plutôt un boulot et gardez son salaire ! On est tous au bout du rouleau. »
Dans ce marasme, les rites culturels restent centraux
La bande de Gaza est en banqueroute. L’argent a disparu. Le sol et les eaux sont empoisonnés, l’horizon bouché, les têtes ne tournent pas rond, demain ressemble à une abstraction. Même les serpentins sont à crédit. On peut protester, au péril de sa vie. Depuis la fin mars, les soldats israéliens ont tué près de 180 Gazaouis et blessé par balles plus de 5 000 autres le long de la frontière, lors des manifestations de la « marche du retour ». Certains s’exposaient aux balles parce que la différence entre la vie et la mort n’est plus très claire à leurs yeux. La mort peut assurer une petite pension à la famille, au nom du « martyre » subi. Grâce à l’argent du Qatar, l’électricité manque moins depuis la fin octobre et les salaires des fonctionnaires sont à nouveau versés. Mais cette aide ponctuelle ne change rien à l’équation insoluble que propose le territoire palestinien, sous le joug du Hamas depuis 2007.
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