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En Allemagne, Karl Münter, ancien bourreau nazi du massacre d’Ascq, ne regrette rien

En avril 1944, 86 civils avaient été abattus par les SS en représailles après le déraillement d’un train.

Par  (Berlin, correspondant)

Publié le 30 novembre 2018 à 10h58, modifié le 30 novembre 2018 à 11h20

Temps de Lecture 3 min.

Karl Münter, dans le reportage de l’émission « Panorama », diffusé, jeudi 29 novembre, sur la chaîne publique allemande ARD.

Soixante-quatorze ans plus tard, il n’a toujours pas le moindre regret. Dans un reportage diffusé, jeudi 29 novembre, sur la chaîne publique allemande ARD, Karl Münter s’étonne même de la question : « Pourquoi devrais-je avoir des regrets ? », demande le vieil homme, âgé de 96 ans. Dans la nuit du 1er au 2 avril 1944, il faisait pourtant partie de ces quelques dizaines de jeunes soldats, membres de la 12e division SS « Hitlerjugend » (« Jeunesse hitlérienne »), qui massacrèrent 86 civils à Ascq (Nord), près de Lille, après que le train dans lequel ils se trouvaient eut été attaqué par des résistants.

Poursuivi par la justice française, Karl Münter avait été condamné à mort par contumace, en 1949, lors d’un procès retentissant où furent jugés seize autres anciens SS accusés d’avoir participé à ce massacre qualifié alors, par Le Figaro, d’« Oradour du Nord ». Dans l’interview diffusée jeudi soir, il assure qu’il n’a tiré sur personne, son rôle s’étant borné à surveiller les Français arrêtés. Mais il considère que les tirs étaient légitimes : « Si j’arrête les hommes, alors j’en ai la responsabilité. Et s’ils s’enfuient, j’ai le droit de leur tirer dessus. Tant pis pour eux ! »

De cette époque, Karl Münter ne semble d’ailleurs pas regretter grand-chose. Face caméra, il affirme que les SS n’ont commis « aucun crime » pendant la guerre. Sur l’ampleur de la Shoah, il garde aussi des doutes : « Il n’y avait pas autant de juifs chez nous à l’époque. Cela a déjà été réfuté. J’ai récemment lu quelque part que ce chiffre de 6 millions n’est pas vrai. Moi, je n’y crois pas », dit-il.

S’il ne quitte plus guère sa paisible bourgade de Basse-Saxe, où il a refait sa vie après-guerre comme peintre en bâtiment, Karl Münter fait parfois une exception. Comme ce jour de début novembre où il s’est rendu en Thuringe pour une réunion organisée par des nostalgiques du IIIe Reich, en présence du vice-président du parti néonazi NPD. Invité comme « témoin de l’époque », il y a dédicacé des dizaines de photos, comme celle qu’il garde précieusement dans un vieil album et qui le montre, à 21 ans, blond comme les blés et visage poupin, dans son uniforme de sous-officier SS.

« Je suis consternée de devoir lire, en 2018, de tels propos odieux »

A Villeneuve-d’Ascq – commune à laquelle a été intégrée Ascq, en 1970 –, le témoignage de Karl Münter a créé un choc. « Je suis consternée de devoir lire, en 2018, de tels propos odieux, et de constater que cet homme est cité en exemple par les néonazis allemands », explique l’historienne Jacqueline Duhem, auteure d’une étude de référence sur le massacre de 1944 (Ascq 1944, Les Lumières de Lille, 2014).

Sur place, la stupéfaction est d’autant plus vive que le nom de Karl Münter est loin d’être inconnu. Il était en effet sorti de l’oubli grâce à la plainte déposée en Allemagne, en 2014, par Alexandre Delezenne, dont l’arrière-grand-père avait été assassiné par les SS soixante-dix ans plus tôt. A la suite de cette plainte, les enquêteurs allemands avaient retrouvé la trace de Karl Münter, réveillant chez les descendants des victimes l’espoir d’un nouveau procès. Mais le 27 mars, le parquet de Celle (Basse-Saxe) mit un terme aux poursuites. La raison : l’article 54 de l’accord de Schengen, qui stipule qu’une personne déjà jugée par un des Etats signataires – même sans assister à son procès, comme ce fut le cas de Münter, en 1949 – ne peut être poursuivie pour les mêmes faits par un autre Etat lié par le même accord. L’autre argument contre la tenue d’un nouveau procès était que Münter avait été condamné pour « crimes de guerre », prescrits au bout de trente ans.

Sollicité par Le Monde à l’époque, Karl Münter n’avait pas voulu réagir. Quelques mois plus tard, le voilà qui parle à visage découvert. « Maintenant qu’il sait qu’il ne sera pas jugé, il en profite. Et pas un regret, pas un mot de repentance ! C’est à vomir », s’indigne Alexandre Delezenne, qui voit néanmoins dans ce témoignage tardif l’occasion de reprendre son combat judiciaire qu’il croyait perdu : « J’ai compris qu’on ne pouvait plus le poursuivre pour ce qu’il a fait en 1944. Mais ce qu’il dit aujourd’hui, je compte bien déposer une nouvelle plainte en Allemagne, cette fois pour apologie de crimes contre l’humanité et négationnisme. »

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