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«Peter von Kant», François Ozon réalise son rêve Fassbinder

« Pour moi, c’est comme un rêve d’être là, 50 ans après Fassbinder… », avait avoué François Ozon lors de la première mondiale à la Berlinale 2022. Ce mercredi 6 juillet, Peter von Kant, sort en salles en France. Une adaptation moderne de Les larmes amères de Petra von Kant, pièce de théâtre de l’artiste culte allemand Rainer Werner Fassbinder que ce dernier avait lui-même adaptée en 1972 pour le cinéma.

Denis Ménochet et Khalil Gharbia dans « Peter von Kant », réalisé par François Ozon.
Denis Ménochet et Khalil Gharbia dans « Peter von Kant », réalisé par François Ozon. © Diaphana Distribution
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Dans le film de François Ozon, tout commence avec les lunettes en corne de Rainer Werner Fassbinder, soulignant à la fois la force et les faiblesses du cinéaste allemand. Et tout finit avec une photo d’archive montrant Fassbinder avec son actrice fétiche Hanna Schygulla. À aucun moment, le réalisateur français ne cache son admiration pour ce monument du cinéma allemand. Ce qui ne l’a pas empêché de changer tous les rôles du film d’origine. Petra von Kant, la créatrice de mode aussi célèbre que cruelle, devient chez Ozon ainsi Peter von Kant, un réalisateur autoritaire, narcissique et au sommet de sa gloire. Et l’impressionnant travail de Denis Ménochet sur son rôle de Peter ne laisse guère de doute sur l’aspect autobiographique de ce personnage pour Fassbinder : la même bouille, le même regard à la fois curieux et hanté, la même gestuelle, le même corps à la fois frêle et animal, doté de pensées à la fois artistiques, enfantines et libidineuses.   

Ozon et Fassbinder, une certaine quête de la vérité sur grand écran

La « libre adaptation » de la pièce de Fassbinder reste surtout du Ozon. Une image très soignée et en même temps chaleureuse et avec une esthétique très années 1970, un cadrage subtil fidèle à l'esprit théâtral de l'œuvre, avec des transitions fluides poussées par les émotions, et un emploi intelligent de stars soulignant les clins d’œil à l’histoire du septième art.

C’est avec l’adaptation d’une autre pièce de théâtre de Fassbinder, Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, que François Ozon avait percé dans le cinéma, en 2000, à la Berlinale. Depuis, il partage avec l’ancien enfant terrible du cinéma allemand surtout une certaine quête de la vérité sur grand écran. Mais aussi le dépistage par l’image des hypocrisies dans la vie de tous les jours. Comme son idole, Ozon assume ce rôle d’observateur avéré et privilégié du combat des sentiments rendu visible par les rayons X cinématographiques. Tous les deux officient comme maîtres dans cette arène sociétale où s’entretuent l’audace et l’ambition, les certitudes et les conventions.

Hanna Schygulla et Isabelle Adjani

« Jeder tötet, was er liebt » (« Chacun tue ce qu’il aime »), chantée en allemand par Isabelle Adjani, cette chanson nous sert de guide dans cette exploration à la fois acide et sensible des structures de l’amour et du pouvoir. Peter von Kant réunit Hanna Schygulla, assurant la filiation directe avec le cinéma de Fassbinder, une Isabelle Adjani pratiquant l’auto-ironie pour son rôle de la diva Sidonie, ainsi que Denis Ménochet incarnant l’alter ego du cinéaste allemand, caractérisé par l’ivresse de ses excès sentimentaux.

► À écouter aussi : L’actrice française Isabelle Adjani dans « Peter Von Kant»

Dans le film d’Ozon, Peter von Kant est omniprésent. Son nouvel amant, Amir (Khalil Gharbia), propulsé utilement comme acteur du prochain film, crève l’écran de sa beauté. La diva Sidonie (Isabelle Adjani) occupe ingénieusement l’esprit du spectateur. Dans l’adaptation du réalisateur français, il est question d’un projet de film sur une actrice allemande après la Seconde Guerre mondiale. Un prétexte pour évoquer l’histoire personnelle de Fassbinder. Né en mai 1945, quelques jours après la capitulation militaire et morale de l’Allemagne, il n’a cessé d’explorer dans son œuvre les souterrains et les tabous de l’Histoire allemande. À partir de ses colères transformées en images, il a créé toute une architecture cinématographique pour disséquer cette société allemande dans laquelle il a longtemps été considéré comme un marginal. Et c’est justement avec ses passions et réflexions viscérales et hors système qu’il a mis à mal la bonne conscience de l’après-guerre.

Un portrait en miroir du réalisateur

Tout cela n’apparaît pas dans Peter von Kant. Ozon se contente d’adapter la pièce pour la fusionner avec un portrait en miroir du réalisateur. Ozon s’approche de la dimension autobiographique de la pièce d’origine, mais s’éloigne en même temps de la puissance et de la radicalité rendues possibles par un traitement plus distancé… En route, il perd l’épaisseur de cette figure majeure du cinéma allemand. Le sujet est toujours là, mais Peter von Kant reste enfermée dans la personne de Rainer Werner Fassbinder, sans inquiéter la société, la politique ou l’histoire allemande.

Du coup, le rôle le plus intéressant est étonnamment incarné avec virtuosité par Karl (Stefan Crepon), le servant servile jusqu’à la soumission. C’est l’homme à tout faire au service du tyrannique réalisateur : mettre les bottes, apporter le champagne, tenir le combiné du téléphone pendant la conversation de son maître, coécrire les scénarios, servir comme défouloir…

Karl, le rôle convoité du révolutionnaire

Pendant tout le film, Karl ne dit pas un mot, mais à travers sa silhouette, son regard, ses gestes, ses hésitations, ses yeux qui brillent ou sa mâchoire qui se crispe, on comprend tout, et tout des autres aussi. Il est comme le silence entre les notes, sans lui, pas de musique, pas d’accents, pas de chute. Il est le fond de l’image qui va engloutir tous les personnages principaux du tableau. C’est lui finalement qui occupera le rôle convoité du révolutionnaire et défendeur de la vérité absolue que tout le monde prétend détenir et incarner, et dans la vie et dans le cinéma. En regardant les autres de façon absolue et introvertie, il nous entraîne dans son regard - sans complaisance, sans pitié. Un vrai regard fassbinderien.

Et puis, il y a Hanna Schygulla. L’ancienne égérie de Rainer Werner Fassbinder qui a joué dans la pièce originale « la petite pute », c’est-à-dire le rôle du Karl dans le film d’Ozon, joue cinquante ans après la « Mutti » de Peter. Mère défaillante, elle encaisse les reproches, mais reste la maîtresse du monde sentimental de son fils, même quarante ans après sa naissance. Quand il chute, elle sera là, avec une berceuse, Schlaf Kindlein schlaf, (« Dors, mon petit, dors »), chantée en allemand par Hanna Schygulla, déployant son âme fassbinderienne. Ozon la filme en contre-jour la nuit, comme un ange, avec sa longue chevelure grise lui donnant une auréole blanche. Une apothéose cinématographique à l’honneur de l’univers de Fassbinder.

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