La plus grosse boutique de France de l'entreprise la plus valorisée de la planète sur la plus belle avenue du monde: en ouvrant son nouveau "store" sur les Champs-Elysées, Apple a le mérite de la cohérence, additionnant les superlatifs pour une vitrine qui n'a pas de prix - sinon celui du loyer, qu'on imagine, lui aussi, superlatif.
Pour sa 20e boutique dans l'Hexagone, qui remplace celle du Louvre, fermée depuis quelques jours, Apple a mis les petits iPhone dans les grands Mac: quelques centaines de mètres carrés répartis sur trois étages, dont un rez-de-chaussée hérité de Weston, les chaussures de luxe - il n'y a pas de petits symboles; des coussins en cuir un peu partout pour les fatigués et les mélomanes; des "board rooms" aux airs de salle du conseil pour accueillir les entreprises; un architecte star, Norman Foster, qui n'a donc pas épuisé toute son énergie à dessiner l'Apple Park, l'anneau monumental qui fait office de quartier général à la firme de Cuppertino, en Californie, depuis l'année dernière; Louis Vuitton et le Fouquet's en vis à vis; des mois de travaux bien cachés derrière une bâche noire inviolable; et, bien sûr, le grand tralala pour les journalistes, blogueurs et autres influenceurs conviés ce matin à la présentation officielle, avant l'ouverture au public dimanche prochain.
Pour les accueillir, Apple avait mobilisé ses patrons France et Europe et une armée de jeunes gens en t-shirt rouge, bien élevés, serviables et souriants - ils seront plus de 300 en vitesse de croisière, dont 100 petits nouveaux, "de 15 nationalités différentes, parlant 17 langues", s'enorgueillit le communiqué de presse envoyé dans la foulée à la grosse cinquantaine d'invités du jour. On n'oublie pas que, touristes obligent, les Champs sont aussi l'avenue la plus cosmopolite de Paris.
LIRE AUSSI >> Galeries Lafayette Apple... le mercato des Champs Elysées
Construit en 1893 pour une certaine Madame Heudebert - "celle des biscottes?" hasarde le journaliste taquin, devant un de ses hôtes qui, poliment, ne lui fait pas remarquer qu'il a déjà entendu la blague dix fois depuis le début de la matinée - le bâtiment est impressionnant, à la manière du baron Haussmann, haut de plafond, lumineux et cossu. Les architectes ont eu le bon goût, à côté de colonnes de marbre à la modernité discrète, d'en conserver les moulures. Celles de l'escalier, passées à la toile émeri, ont dû nécessiter quelques dizaines d'heures de travail méticuleux. Le résultat est à la hauteur.
Au mur, des photos de Paris, nombreuses, et une de l'aviateur Alberto Santos-Dumont dans son bureau rotonde, au troisième étage, là où il avait installé ses appartements après avoir atterri devant l'immeuble dans un ballon dirigeable en 1903. "Il a inventé la montre bracelet", rappelle un jeune homme en rouge, qui se resservira probablement de l'argument pour vendre l'une des apple watchs exposées au rez-de-chaussée, entre les iPad, les casques bluetooth et les portables, à quelques pas de l'impressionnant patio - "c'est là que les diligences faisaient demi-tour après avoir emprunté la porte-cochère", explique l'un de ses collègues. Devant, s'y arrêteront bientôt des Ferrari.
Combien a coûté et va coûter à Apple ce temple de la high-tech haut de gamme, son 112e dans le monde et sans doute l'un des plus beaux ? Surtout, sera-t-il rentable ou, comme nombre d'autres pas-de-porte sur les Champs-Elysées, déficitaire ? Pour la première capitalisation du monde, et malgré des déboires récents à Wall Street, où son action a perdu 11% en quelques jours, la question est secondaire. On parle d'image, ici, de prestige, pas (seulement) d'argent. Habitués à assouvir leur passion à des prix souvent déraisonnables, les fans d'Apple comprendront.