Etudiante japonaise disparue à Besançon : dernier chapitre au Chili

Les investigations en France sont terminées. Les charges qui pèsent sur l’ex-petit ami chilien de Narumi sont lourdes. Reste à en convaincre les autorités locales dont la collaboration est sujette à caution.

 Le procureur de la République de Besançon, Etienne Manteaux, lors d’une conférence de presse lundi 19 novembre.
Le procureur de la République de Besançon, Etienne Manteaux, lors d’une conférence de presse lundi 19 novembre. AFP/Sebastien Bozon

    C'est un intense bras de fer diplomatique qui s'annonce. Ce lundi matin, Etienne Manteaux, le procureur de la République de Besançon (Doubs), a officiellement annoncé la fin des investigations dans le cadre de la disparition de Narumi. Cette jeune Japonaise, étudiante à l'université de Franche-Comté, n'a plus donné signe de vie depuis le 4 décembre 2016. Une commission rogatoire internationale (CRI) va maintenant être adressée au Chili, où souhaite se rendre la juge d'instruction en charge de ce dossier, ouvert pour « assassinat », afin de pouvoir y entendre Nicolas Zepeda Contreras, l'ex-petit ami de la victime.

    Pour la famille de la jeune femme, qui s'est désormais constituée partie civile, l'espoir demeure toujours de la revoir vivante. Un espoir qui « apparaît vain », a confié Etienne Manteaux lors d'une conférence de presse. « La thèse de l'assassinat est plus que jamais retenue, a-t-il poursuivi. Et Nicolas Zepeda Contreras en est plus que jamais le suspect n°1. » C'est que les éléments contre l'ex-petit ami de Narumi, qui se terre depuis au Chili, sont accablants. Ainsi, le magistrat a précisé l'emploi du temps de la jeune femme avant qu'elle ne s'évapore.

    Courant septembre 2016, alors qu'elle vient d'intégrer le centre de linguistique appliquée (CLA) de Besançon, elle noue une relation avec un autre étudiant, Arthur. Dans le même temps, elle signifie à Zepeda Contreras, avec lequel elle était sortie lorsqu'il était lui-même étudiant au Japon, la fin de leur relation.

    Un cri suivi d'un bruit sourd en pleine nuit

    Le 28 novembre 2016, ce dernier, après avoir menacé à demi-mots Narumi via Internet, s'envole de Santiago du Chili vers Genève, puis Dijon. Le 4 décembre, Narumi sort de son cours de danse vers 16h30. Le Chilien la rejoint. De 19h12 à 21h57, le couple, qui n'en est plus un, dîne dans un restaurant d'Ornans, comme en attestent les témoignages des serveurs et les images de vidéosurveillance. À 22h34, leur véhicule est flashé sur la route les ramenant à Besançon, où là encore, sur le parking de la résidence universitaire, les caméras montrent une dernière image d'elle, vivante, à 22h58.

    Dans la nuit, à 3h20 du matin, un cri retenti, suivi d'un bruit sourd. Une dizaine d'étudiants sont réveillés, sortent pour certains dans le couloir. Une poignée s'envoient des SMS pour se demander ce qu'il s'est passé. « Malheureusement, aucun n'a envisagé le pire et appelé la police, déplore Etienne Manteaux. Ils ne savaient pas d'où venait ce bruit, et tout s'est arrêté très vite. »

    À partir de là, nul ne reverra jamais Narumi. Pourtant, ses proches recevront des messages en japonais jusqu'au 10 décembre. Des messages dont les enquêteurs ont acquis la conviction qu'ils avaient été envoyés par Zepeda lui-même, qui les avait au préalable fait traduire par l'une de ses connaissances. Lors de la perquisition de la chambre, aucune trace de sang n'est mise en évidence. Tout semble en ordre. La veste d'hiver de Narumi, ses chaussures, comme son portefeuille et sa carte bancaire, n'ont pas bougé. Ne manquent qu'une couverture, et une valise orange, qui fera l'objet d'intenses recherches.

    « Si c'est bien dans la chambre qu'elle est décédée, cela ne s'est pas fait avec un objet contondant et un épanchement de sang, assure le procureur de la République. Peut-être a-t-elle été tuée par étouffement. » Exit donc la théorie selon laquelle le corps de Narumi aurait été démembré sur place, et sorti de l'appartement dans une valise dont les enquêteurs ne sont pas persuadés qu'elle aurait pu le contenir. « Ce serait limite, quand bien même Narumi était un petit gabarit », explique Régis Millet, le patron de l'antenne de la police judiciaire (PJ) de Besançon, qui a piloté l'enquête. « Tant que son corps n'a pas été retrouvé, il est compliqué de dresser des hypothèses », regrette Etienne Manteaux.

    Sonars, chiens et survols aériens

    C'est là le principal écueil de ce dossier criminel : l'absence de cadavre. Quand bien même « tout ce qui pouvait être fait pour la manifestation de la vérité l'a été », plaide le procureur, en poste depuis le 1er septembre. « On a mis en oeuvre des sonars, des chiens et des survols aériens, a plaidé Régis Millet. Les plongeurs ont été largement engagés, et toutes les grottes qui pouvaient l'être explorées. À plusieurs reprises, des ossements ont été mis en évidence, qui n'étaient pas ceux de Narumi. » De « nombreux hectares de forêt » ont ainsi été « balayés ». Dans une zone qui s'est réduite à « 2 ou 3 kilomètres » au fur et à mesure des recherches.

    Car si la justice est convaincue que Zepeda Contreras a prémédité son crime, c'est en grande partie parce qu'il a loué, par Internet, le 17 novembre, un véhicule à Dijon (Côte d'Or). Un monospace équipé d'un GPS, ainsi que d'une balise de localisation GPS antivol. Malheureusement, les données du navigateur ont été effacées par les clients suivants. Pas celles de la balise, qui, couplées aux données de téléphonie, ont mis en évidence de nombreux allers-retours de Zepeda Contreras dans ce secteur boisé proche de Choisey (Jura) entre les 1er et 4 décembre.

    Dans le même temps, le Chilien allait faire ses courses dans un magasin de bricolage de Dijon, achetant notamment des allumettes, un bidon de cinq litres de liquide inflammable et un pulvérisateur de détergent. « Ça interroge pour un simple touriste… » ironise Etienne Manteaux.

    Procès en France ou au Chili

    Qui plus est quand il rend son véhicule de location couvert de boue, avant d'expliquer à ses proches, qu'il rencontre à Madrid, sur le chemin du retour, qu'il est toujours en couple avec Narumi, même s'il ne l'a pas croisée récemment. « Une version non conforme aux éléments du dossier », sur laquelle, d'après le procureur, Zepeda Contreras finira par revenir, alors que ses empreintes digitales ont été découvertes sur une tasse, dans l'évier de la chambre universitaire de Narumi.

    C'est donc maintenant au Chili que tout va se jouer. Si les juges français préfèrent ne pas envisager que leur déplacement y soit interdit, ils nourrissent toutefois de véritables doutes sur la volonté de leurs homologues chiliens de leur faciliter la tâche. En dépit d'un mandat d'arrêt international émis à son encontre, Zepeda Contreras n'a en effet jamais été interpellé. « Si le Chili accepte que la juge vienne sur place, cela permettra, a minima, de soumettre le dossier à nos homologues, et de leur exposer les indices graves et concordants qui en ressortent, prévient Etienne Manteaux. Ensuite, deux options s'ouvriront : soit un procès sur place, soit un procès en France, certainement par défaut, ce qui ne serait pas satisfaisant. » D'ici là, Régis Millet l'assure : « Si l'enquête de police est close, le dossier, lui, ne sera jamais refermé. »