Yves Veyrier, le nouveau patron de FO.

Yves Veyrier, le nouveau patron de FO.

afp.com/JACQUES DEMARTHON

Aucun salarié du siège de Force ouvrière interrogé ces dernières semaines n'a voulu répondre à nos questions. La faute à une atmosphère "tendue" et "suspicieuse", où chacun se regarde en chien de faïence. Depuis la révélation, le 10 octobre, de l'existence d'un fichier polémique, ponctué de remarques insultantes sur 126 cadres de l'organisation, la maison brûle. Les fuites parues dans la presse sur la gestion financière et les rémunérations des cadres ont fini de plomber une ambiance délétère.

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L'élection d'Yves Veyrier au poste de secrétaire général de FO, ce jeudi, signera-t-elle la fin du psychodrame? Le départ de l'ex-numéro 1, Pascal Pavageau, le 17 octobre, en poste depuis six mois, a laissé la direction vacante pendant près de quatre semaines. Il y avait urgence à lui trouver un successeur.

Trois candidats se sont opposés. C'est Yves Veyrier, membre du bureau confédéral depuis des années, qui a obtenu le soutien du Comité confédéral national (CCN), avec 45,75% des suffrages (2720). Il devance Christian Grollier, responsable de FO-Fonction publique, d'une poignée de voix (2577, soit 43,35%). Le troisième candidat, Patrice Clos, à la tête de FO-Transports, ferme la marche avec 647 voix et 10,9% des suffrages.

En interne, on assure qu'un retour à la normale est pour bientôt. Ils sont nombreux à le souhaiter, ce que le nouvel élu devra assumer.

"Il y a urgence à se remettre au travail"

Première mission pour ce mandat de transition: remettre les troupes en ordre de bataille. "On patauge quand même dans un contexte très particulier, confie un cadre de FO. Il y a urgence à remettre tout le monde au travail." Avant de se reprendre : "Enfin, nous n'avons pas arrêté de travailler, mais il faut que nous retrouvions notre rôle auprès des salariés."

Dans quelques jours, le 6 décembre, les 5,2 millions d'agents publics doivent désigner leurs représentants. Arrivé en tête en 2011, FO joue sa première place dans la fonction publique d'État. "Je ne pense pas qu'on paye les pots cassés de cette affaire dans les urnes, prédit Serge Cambou, secrétaire départemental de FO dans la Haute-Garonne. Mais j'espère que ça ne se transformera pas en référendum pour ou contre nous."

Sur le terrain, les militants espèrent limiter la casse. "On fait le boulot au quotidien pour défendre les droits des gens dans les entreprises ou la fonction publique, avance Jean-Yves Chaussin, délégué général syndical FO Carrefour SDNH. Notre image a été très écornée et on ne cautionne pas les pratiques de la direction, mais on souhaite que notre engagement fasse la différence."

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Au sein de FO, ce sont surtout les scandales financiers qu'on souhaite mettre en sourdine. "Quand on veut tuer une organisation, on balance des gros chiffres, s'agace un responsable de FO. Les montants de rémunération [100 334, 63 euros bruts annuels pour l'ancien numéro Jean-Claude Mailly, NDLR] ou de remboursements rendus publics sont normaux, compte tenu des responsabilités et de l'activité de nos cadres."

Le nouveau dirigeant aura la lourde tâche d'établir "un état financier complet" de l'organisation. La grande majorité des responsables assure que ce travail peut se réaliser en interne. "Un audit externe ? Ça coûterait un pognon fou pour pas grand-chose", balaie l'un d'eux. Parmi les militants, on prône la transparence. "Je fais confiance aux commissaires aux comptes qui valident, mais il faut ajouter quelques garde-fous supplémentaires", suggère Jean-Yves Chaussin, élu chez Carrefour.

Pas de changement de ligne

Yves Veyrier, 60 ans, est un historique. Son profil devrait l'aider dans son autre mission: apaiser les tensions et permettre aux différents courants de cohabiter sereinement. Réformistes, trotskistes, anarchistes: la présence de trois candidats à la succession de Pascal Pavageau illustre ces déchirements. La désignation d'une figure réformiste, même avec un écart de voix aussi ténu, remettra-t-il le syndicat dans la voie de la réconciliation ? "L'ADN de FO est réformiste, confirme le spécialiste du syndicalisme Jean-Dominique Simonpoli. Bien plus qu'à la CGT. Pascal Pavageau a voulu faire sauter l'héritage Mailly, qu'il a jugé trop complaisant avec les ordonnances Macron. Et sa succession a été très violente."

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L'ex-numéro 1, partisan d'une ligne plus contestataire, avait été adoubé lors du congrès de Lille en avril 2018, mais ce sont aujourd'hui les réformistes qui reprennent la main. "Il n'y a pas de conflit d'orientation, pondère Serge Cambou, à la tête de l'Union départementale de Haute-Garonne. Le bureau confédéral est en place et il va avancer". "Nous allons changer de méthode en changeant d'homme, analyse un cadre national, mais on ne change pas de ligne. Pascal Pavageau avait sa propre lecture, mais les fondamentaux sont toujours les mêmes: on revendique, oui, mais on négocie d'abord !"

Les trois candidats se sont engagés à suivre les principes adoptés en avril dernier, avec des nuances. Des voix minoritaires continuent de s'exprimer et pourraient gêner la fragile entreprise de remise en ordre. Yves Veyrier n'a pas obtenu la majorité absolue des voix. Cela pourrait lui compliquer la tâche. Patrice Clos, le candidat arrivé dernier, n'a ainsi pas tardé à se distinguer, soutenant dès mercredi les "gilets jaunes" au nom de sa fédération transports, contre les positions de la maison mère.

Tous les syndicats éclaboussés

Les tensions intestines risquent de durer, mais à l'extérieur l'image devra se pacifier. "Il y a eu prise de conscience face à l'ampleur de la menace, qui pouvait mettre en péril l'organisation. Malgré les divisions, ils n'ont d'autre choix que de s'unir pour éviter le pire", estime Jean-Dominique Simonpoli.

A l'heure où les manifestations "spontanées" des gilets jaunes court-circuitent les réseaux traditionnels et les forcent à se positionner, les syndicats historiques semblent déboussolés. Quant à l'agenda social imposé par le gouvernement, il s'annonce dense, avec la négociation de la réforme des retraites.

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Tout le monde a donc intérêt à ce que le feu soit maîtrisé, Force ouvrière comme les autres protagonistes. "Cette affaire rejaillit sur tous les syndicats et salit notre image, commente Jean-Yves Chaussin. Franchement, ce n'est pas simple d'être un élu aujourd'hui."

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