Ce fut un enterrement chahuté. Il n’y eut ni fleurs ni couronnes. Mais des bannières bleues, des tifos rouge et blanc. Des cris, des chants, quelques sanglots. Ceux de Lucas Pouille. Il y a un an, c’est lui qui apportait le point décisif à son équipe en finale contre la Belgique. Cette fois, la France était menée 2-1, il lui fallait sortir le match d’une vie face à Marin Cilic (7e mondial) pour maintenir l’espoir. Mais le miracle n’a pas eu lieu au stade Pierre-Mauroy. Sans produire son meilleur tennis, le Croate a gagné la bataille des nerfs et l’ultime saladier d’une compétition qui, dès l’an prochain, présentera une tout autre figure. Ci-gît la Coupe Davis. Boston, 8 août 1900 - Villeneuve-d’Ascq, 25 novembre 2018.
Il y a plusieurs mois déjà que la vénérable centenaire était en fin de vie et qu’on savait l’issue inexorable. Une mise en bière orchestrée par la Fédération internationale de tennis (FIT) elle-même et son président, David Haggerty. Avec l’appui de Bernard Giudicelli, président de la Fédération française de tennis et ex-président du comité de la Coupe Davis. A l’opposé de son illustre prédécesseur, Philippe Chatrier, qui en fut l’un des plus fervents défenseurs, derrière les Mousquetaires.
Sans René Lacoste, Henri Cochet, Jean Borotra et Jacques Brugnon, pas de Davis. Sans eux, pas de stade Roland-Garros. Car c’est grâce à la première victoire de ces glorieux ambassadeurs, en 1927, qu’a été construite l’enceinte de la porte d’Auteuil afin d’accueillir la finale de 1928. Sans eux, donc, pas de Grand Chelem.
A l’origine, un bol à punch acheté 1 000 dollars
Au fil du temps, le saladier d’argent est devenu un de ces trophées que chacun savait identifier, au même titre que la Coupe du monde de football ou le Bouclier de Brennus, en rugby. Drôle de destin que celui d’un bol à punch acheté 1 000 dollars à un orfèvre de Boston par Dwight Filley Davis…
Il a changé le cours du tennis français – mais pas seulement. Des générations de joueurs s’y sont attachées. Parce que cette compétition transformait, le temps d’un week-end, un sport parfois égoïste en un défi collectif. Parce que le public, parfois jugé trop lisse, dégénérait en chaudron n’ayant pas grand-chose à envier à celui du football.
Il suffisait de voir l’abnégation d’un John McEnroe, d’un Boris Becker, d’un Andre Agassi pour en saisir le prestige. Et, plus récemment, la délivrance d’un Novak Djokovic (2010), d’un Roger Federer (2014) ou d’un Andy Murray (2015) de l’avoir enfin inscrite à leur palmarès. Ou encore un Rafael Nadal – déjà quatre fois vainqueur – en transe, en avril, au moment de recevoir l’Allemagne en quarts de finale. Même si beaucoup reprochent à ces quatre-là de n’avoir pas su la défendre.
Vocation et émotion
Combien sont-ils, gamins, à avoir fait des bonds sur le canapé familial et à s’être découvert une vocation ? Nicolas Mahut cite spontanément l’épopée lyonnaise de « 1991, quand Guy [Forget] gagne la balle de match et s’écroule par terre et que “Yann” [Yannick Noah] saute par-dessus le filet et le prend dans les bras. A ce moment-là, je me suis dit : “C’est ça que j’ai envie de faire.” » Pour Jo-Wilfried Tsonga, le déclic, ce sera Malmö (Suède), en 1996.
Combien sont-ils à avoir, sur le terrain, connu des émotions parmi les plus fortes de leur carrière ? « La victoire de 1991 face aux Américains est aussi puissante que ma victoire à Roland », répète Noah. « La soirée à Melbourne, après notre victoire en 2001, restera la plus belle de ma vie de sportif », raconte Arnaud Clément. Même si les mauvaises langues diront que pour beaucoup de joueurs français, gagner la Coupe Davis était une façon de goûter à l’ivresse d’une victoire en Grand Chelem qu’ils ne pouvaient espérer.
Certains d’entre eux n’ont jamais soulevé le saladier mais leurs héritiers savent ce qu’ils leur doivent. On citera entre autres valeureux Pierre Darmon, recordman de matchs gagnés (47 victoires, 21 défaites), ou François Jauffret, celui qui donna le virus à Noah et détient le record de sélections pour un joueur français (35 entre 1964 et 1978)… sans aucune finale à la clé.
Le sel de la Coupe
Samedi, lui et tous les anciens encore debout ont été honorés avant le match entre les paires Mahut-Herbert et Dodig-Pavic. L’ultime double de l’histoire de la compétition au meilleur des cinq manches. Un samedi où fut réuni tout ce qui faisait le sel de la Coupe Davis. Des cris, du mauvais esprit, de la dramaturgie. Il n’y eut pas de sang, mais de la sueur et même quelques larmes. Pendant La Marseillaise, l’émotion rattrapa Noah à l’idée de disputer peut-être son dernier match sur le banc.
Pour le futur ex-capitaine, « sa » Davis a été sacrifiée « sur l’autel du pognon ». Trois milliards de dollars (2,6 milliards d’euros, sur vingt-cinq ans), pour être exact. Dimanche soir, il a prononcé l’éloge funèbre : « Combien ça vaut un ramasseur de balles qui demande une photo à Lucas Pouille ? Combien ça vaut un rêve en dollars ? Moi, mon histoire est partie d’un rêve, de quelqu’un qui m’a serré la main et donné sa raquette [Arthur Ashe, quand Noah avait 11 ans], tout ça n’arrivera plus jamais. J’ai dit à mes gars : allez-y, mais ce ne sera plus jamais la même chose. J’espère qu’ils ne l’appelleront pas la Coupe Davis. Quand ils disent que ça restera la Coupe Davis, ils nous mentent. »
Vers un échec populaire ?
Beaucoup de joueurs ont déjà annoncé qu’ils ne disputeraient pas la nouvelle épreuve. Encore plus depuis que l’ATP, l’instance qui régit le circuit, a fait savoir qu’elle organiserait sa propre coupe du monde à six semaines d’intervalle. Or, c’est elle qui a les faveurs du vestiaire.
Cette semaine à Lille, le président de la FIT a vainement essayé de convaincre, servant en boucle des éléments de langage. « L’argent que les nations vont recevoir pour contribuer au développement des générations futures est au cœur de cette réforme », a-t-il ainsi assuré.
M. Haggerty veut croire que son projet sera un succès populaire. « Beaucoup de joueurs ont l’air assez enthousiasmés par ce changement, et nous sommes confiants, nous aurons une fantastique finale à Madrid l’an prochain. » Il est sans doute le seul à s’en convaincre. Ce week-end, à chaque fois qu’il était prononcé, son nom a été sifflé par un public à qui on ne la fait pas.
Ame vendue
Lucas Pouille a confirmé, dimanche soir, qu’il venait de disputer son dernier match de Coupe Davis. Et les autres ? « L’an prochain, je ne sais pas, mais dans trois ou quatre ans, je la jouerai », a ironisé Nicolas Mahut, 36 ans. Pour lui, il y avait d’autres moyens de sauver une compétition boudée par les meilleurs que de vendre son âme pour une poignée de dollars : « Si les Grands Chelems, qui gagnent beaucoup d’argent, donnaient un pourcentage de leurs recettes, la Coupe Davis aurait été sauvée. Il fallait travailler sur le format pour alléger le calendrier. Oui, il y a des fédérations qui ont besoin d’argent, qui n’ont pas de Grand Chelem. Mais accepter une compétition pour ça, ça me révolte. »
Le clan français en vient à espérer des « ajustements ». Mieux, un retour en arrière. Il n’est jamais trop tôt pour ressusciter.
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