Les "Gilets jaunes" manifestent sur les Champs-Elysées à Paris le 24 novembre 2018

Les gilets jaunes manifestent sur les Champs-Elysées, à Paris, le 24 novembre.

afp.com/Bertrand GUAY

Alexis Spire est sociologue, directeur de recherche au CNRS. Il vient de publier aux éditions du Seuil, Résistance à l'impôt, attachement à l'Etat. Enquête sur les contribuables français. Il revient pour L'Express sur la colère des gilets jaunes.

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Vous avez épluché des milliers de questionnaires et multiplié les entretiens pendant quatre ans dans les bureaux Urssaf et les centres des impôts de province, comment appréhendez-vous le sentiment de ras-le bol-fiscal?

Le constat est sans appel : le sentiment d'injustice fiscale est extrêmement fort et s'intensifie plus on descend dans l'échelle sociale. Ce sont les plus faibles revenus et les moins diplômés qui pensent que l'impôt est trop élevé et injuste. Ce qui peut paraître paradoxal si l'on s'en tient au fait que ces contribuables ne paient généralement pas d'impôt sur le revenu. Par ailleurs, cette fracture sociale se double d'une fracture territoriale. A la question "La France est-elle un pays où on paye trop de charges et d'impôts ?", 39% seulement des sondés parisiens se déclarent "tout à fait d'accord" contre 58% des habitants des zones rurales et 62% des sondés des petites villes moyennes. L'acceptation à l'impôt fracture la société française

Le ras-le-bol fiscal qui se fait entendre aujourd'hui s'accompagne-t-il d'une montée de l'incivisme fiscal ?

Pour l'instant, il n'y a aucun appel à la grève des impôts. Mais il faut bien distinguer contestation politique et civisme fiscal. Dans notre étude, plus de 80% des enquêtés s'accordent à dire que le niveau des prélèvements trop élevé mais on sait par ailleurs que 95% des Français remplissent leurs obligations fiscales. En Bretagne par exemple, il existe toute une tradition d'opposition politique à l'impôt et à l'Etat - rappelez-vous la figure d'Alexis Gourvennec dans les années 60 ! -mais le civisme est l'un des plus élevés.

Qu'est ce qui diffère la fronde des gilets jaunes des autres mobilisations anti-impôt que la France a connues ?

Que ce soit la révolte antifiscale des commerçants derrière Poujade dans les années 50, celle des artisans autour de Nicoud dans les années 1970, celle des camionneurs contre la hausse des prix sur les carburants dans les années 1990 ou encore celle des patrons de start-up rebaptisés Pigeons en 2012, toutes les mobilisations contre l'impôt ont été organisées sur la base d'un même corps de métiers. Avec la multiplication des réseaux sociaux, il devient possible de se mobiliser sans passer par des organisations professionnelles. En 2016, deux manifestations ont pu voir le jour à Paris contre le régime social des indépendants, fédérant des professions très différentes. Le mouvement des gilets jaunes est l'aboutissement de cette évolution : c'est la première contestation fiscale 2.0 de grande ampleur.

Pourquoi s'est-elle cristallisée sur les taxes écolo ?

La hausse des prix du carburant n'est qu'une étincelle. Cela fait plusieurs années que l'exaspération face à l'impôt monte notamment dans les classes populaires. Mais la voiture peut fédérer bien au-delà : elle est à la fois le seul moyen de se déplacer en l'absence d'autres transports et le symbole de liberté par opposition aux contraintes étatiques.

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