CINÉMA - C'est incontestable, il y a quelque chose de spécial dans le cinéma de Bernardo Bertolucci. Le réalisateur italien, décédé ce lundi 26 novembre, avait un talent unique pour plonger le spectateur dans l'atmosphère de ses films, parfois inquiétante mais toujours captivante. Et il avait une attirance particulière pour Paris, qu'il savait personnifier en image pour servir ses films. Dans trois d'entre eux, il a su magnifier la capitale, qui le lui a bien rendu, comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessus.
"Le Conformiste"
Comment ne pas mentionner ce film, sorti en 1970, le premier que Bernardo Bertolucci a tourné à Paris? L'histoire d'un espion fasciste italien en quête de normalité pour fuir son passé est portée par Jean-Louis Trintignant, qui incarne un personnage double et mystérieux. En mission à Paris, on le voit au Trocadéro devant une Tour Eiffel embrumée, une image parisienne qui symbolise sa personnalité trouble. Et quand on le voit au détour du musée d'Orsay, cette fois dans la pénombre et pressé, on se dit que le réalisateur s'est vraiment servi de l'ambiance parisienne pour faire pénétrer un peu plus le spectateur dans l'intrigue.
Enfin, une scène de tango langoureuse entre sa femme et sa maîtresse sur une guinguette des bords de Seine n'est pas sans rappeler le film qu'il tournera dans la foulée: "Le dernier Tango à Paris", et qui marquera de manière bien plus significative le public et sa relation spéciale avec la capitale.
"Le dernier Tango à Paris"
Ce film, parut en 1972 et qui raconte un flirt intense et éphémère entre une jeune femme (Maria Schneider) et un homme (Marlon Brando) détruit par la mort de son épouse, avait donné au cinéaste italien une réputation sulfureuse et avait catalysé les critiques, notamment à cause de sa scène de viol qui a valu au long-métrage d'être classé X dans de nombreux pays. A la fin de sa carrière, Bernardo Bertolucci a admis avoir piégé la jeune actrice pour tourner cette séquence.
Cette histoire d'amour, aussi étrange que violente, trouve sa place dans ce Paris glacial des années 70 comme une parenthèse intime. Paul, le héros du film et cinquantenaire déchu, loue un appartement parisien, au-dessus du pont de Bir-Hakeim, pour vivre son épisode amoureux. Cet appartement hausmannien, donnant sur les toitures parisiennes, est aussi vide et élégant que le personnage incarné par Marlon Brando.
À l'image de la salle de bal à Wagram, où les amoureux tourmentés se retrouvent davantage pour boire que pour danser; ou encore l'éternel pont de Bir-Hakeim, charrié par le vent d'hiver et omniprésent dans le film, le décor parisien illustre parfaitement l'ambiance que souhaitait retranscrire Bertolucci: un huis clos aussi sordide que fascinant, où l'opposition entre les scènes de chaleur et de froid extérieur dans la capitale donne au spectateur une fièvre similaire à celle des héros.
"Innocents: The Dreamers"
Tout comme "Le dernier Tango à Paris", ce film, sorti en 2003, se déroule principalement dans un appartement haussmannien. À travers le regard fantasmé de Matthew, un étudiant américain hypnotisé par la beauté et la fantaisie bien parisienne d'Isabelle (Eva Green) et de son insolent frère Théo (Louis Garrel), le film nous montre le Paris mouvementé de mai 68, en huis clos et en décalage avec la fronde populaire qui sévit dans la rue. Les trois personnafes évoluent dans cet appartement bourgeois pendant l'été 1968 en se lançant des défis cinéphiles, cherchant à toujours repousser leurs limites pour mieux se découvrir.
Parmi ceux-là: reproduire une scène du film "Bande à part" de Jean-Luc Godard, sorti en 1964. L'objectif est de faire la visite la plus rapide du musée du Louvre en moins de 9 minutes 43, record établi dans le film par les héros du cinéaste français de la Nouvelle Vague. Bernardo Bertolucci réussit à reproduire la scène en reprenant les images de "Bande à part": ce qui lui permet d'inscrire ses personnages dans la tradition culturelle de la capitale en les associant à des icônes comme Jean-Luc Godard et montre son attachement à la Nouvelle Vague.
De l'ancienne cinémathèque du palais Chaillot dans le 16e arrondissement du Paris à l'université Paris Descartes, les codes de la vie culturelle parisienne et les références géographiques imprègnent le film. Sa documentation historique conclut justement "Innocents: The Dreamers" avec cette fuite en avant des héros dans une manifestation violente contre les CRS lors de Mai 68 dans les rue pavées. Paris a souvent suscité bien des fantasmes, mais Bertolucci faisait partie de ces artistes qui savaient les conjuguer avec le réel pour les rendre plus vrais que nature.
À voir également sur Le Huffpost:
LIRE AUSSI:
- Polanski, Bertolucci, Hamilton... les abus sexuels de l'art "libéré" des années 70-80 ne passent plus Bertolucci après Hamilton : les abus sexuels de l'art "libéré" des années 70-80 ne passent plus