Cinquante-huit moutons et trente-trois êtres humains. Ce sont les données cliniques de ce « cheptel de patients » qui ont servi à délivrer le certificat de conformité européenne (CE) au premier pacemaker sans fil de l’histoire. Pour faire homologuer son dispositif médical, St. Jude Medical a ajouté à son dossier une centaine de tests en laboratoire, de la paperasse et une « déclaration de conformité », en réalité une simple page où elle indiquait que son Nanostim, « plus petit qu’une pile AAA », est bien conforme aux dispositions de la directive européenne sur les dispositifs médicaux.
Puis la firme américaine a payé une société commerciale entre 10 000 et 30 000 euros pour évaluer la conformité du dossier de l’implant utilisé pour les cœurs qui battent trop lentement. Obtenu en août 2013, ce précieux label « CE », qu’on retrouve sur les grille-pain ou les brosses à dents électriques, permet à l’entreprise de commercialiser dans toute l’Europe cet implant médical à haut risque qu’est le Nanostim.
Depuis un quart de siècle, les dispositifs médicaux (défibrillateurs, pompes à insuline ou prothèses de hanche) sont censés être contrôlés avant leur implantation. L’enquête des « Implant Files » s’est intéressée à ces « organismes notifiés » (notified bodies), des sociétés commerciales qui délivrent le certificat CE, indispensable à l’accès au marché. Totalement inconnues du public, elles brassent des chiffres d’affaires parfois considérables. Celui de SGS, le leader du secteur, avoisine les 5 milliards d’euros par an.
L’industriel n’a pas à démontrer l’efficacité de l’implant
En Europe, le système de contrôle des dispositifs médicaux relève d’un conflit d’intérêts institutionnalisé. Non seulement l’entreprise contrôlée paye son contrôleur, mais elle sponsorise aussi les études cliniques effectuées en amont sur ses propres produits et, le plus souvent, rémunère les médecins et ingénieurs qui les réalisent. Pour l’étude Nanostim, réalisée sur des moutons et des humains, le cardiologue consulté était ainsi membre du conseil consultatif de St. Jude Medical, la pathologiste chargée d’examiner l’état du cœur des animaux était payée par la firme et trois des auteurs étaient employés et actionnaires de Nanostim-St. Jude Medical.
Si le Nanostim n’avait pas été le premier pacemaker sans fil, mais le deuxième ou le troisième à tenter d’accéder au marché, St. Jude Medical aurait même pu faire l’économie de l’étude clinique. Car, selon la directive européenne en vigueur depuis 1990, le fabricant aurait pu faire état de l’« équivalence » de son produit avec un dispositif déjà homologué. Des résumés d’articles de revues scientifiques auraient suffi. Et dans tous les cas, jamais les employés de l’organisme notifié n’ont l’objet en question entre les mains : ils ne lisent qu’un dossier censé démontrer que le dispositif accomplit « les performances prévues par le fabricant » et qu’il ne « compromet » pas la sécurité des patients. En revanche, l’industriel n’a pas à démontrer son efficacité…
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