« Bienvenue dans ma grotte ! », plaisante le médecin en poussant la porte à la peinture écaillée de son laboratoire. Le lieu ressemble à une cuisine des années 1950 ; c’est l’un des bâtiments les plus anciens de l’hôpital de Strasbourg, qui a d’ailleurs longtemps abrité la morgue. Le professeur Nabil Chakfé s’y livre désormais à un autre genre d’autopsie : celle des explants cardiovasculaires, ces gaines en tissu et ressorts métalliques utilisées pour réparer les artères endommagées. Souvent retirés des corps après une fuite, ils sont envoyés ici pour y être analysés.
Chef du service de chirurgie vasculaire du CHU de Strasbourg, il est le premier, en Europe, à avoir lancé, en 2011, ce programme d’analyse d’explants cardiovasculaires (Geprovas). « Le plus souvent, les explants sont jetés à la poubelle, et on ne sait pas ce qui a mal tourné. Comme si, après un crash aérien, on se débarrassait de la boîte noire ! », souligne le médecin, qui estime que la surveillance des incidents ne suffit pas, d’autant que les autorités de santé n’ont pas les moyens de réaliser les expertises appropriées. « L’ANSM [Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé] confie l’analyse aux industriels, qui disent alors que le problème est lié à l’explantation plutôt qu’au dispositif lui-même », soupire le médecin.
Corrosion des parties métalliques
Sur les paillasses, des machines, parfois créées sur mesure, testent les propriétés mécaniques des implants. Devant un soupirail, trois scientifiques s’affairent autour d’une série de flacons, où flottent des explants : il faudra plusieurs semaines pour qu’un cocktail d’enzymes et de javel les débarrasse des résidus de chair et de sang. « On ne sait pas toujours ce que l’on cherche, donc nous regardons tout. Et nous stockons les images et les résultats dans une base », explique Delphine Dion, ingénieure spécialisée dans les textiles médicaux.
Cette collection unique au monde comprend des informations sur plus de 630 explants cardiovasculaires issus d’une vingtaine de fabricants. Dès la fin des années 1990, « nos travaux ont montré que la stabilité des premiers modèles était catastrophique », dit le professeur, en raison des ruptures de gaines en tissu, de la corrosion des parties métalliques et des fuites dangereuses.
Deux prothèses en polyester sont scrutées à la loupe : des chirurgiens avaient constaté qu’elles se déchiraient dans le sens de la longueur, une fois implantées chez le patient. « C’était lié à la technique de fabrication », indique le scientifique. Ces conclusions ont été adressées au fabricant, Meadox, une division du géant américain Boston Scientific, mais « nous avons reçu zéro réponse de leur part », soupire-t-il. Il y a aussi les endoprothèses Corvita, elles aussi au catalogue de Boston Scientific, dont « la membrane qui devait les rendre étanches se dissolvait dans le temps. Cela a pu entraîner des ruptures d’anévrisme de l’aorte, voire des décès », explique Nabil Chakfé, pour qui l’implant est une « passoire ». « Le modèle a été discrètement retiré du marché. »
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