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Le football argentin rattrapé par ses démons

Le match retour de la finale de Copa Libertadores entre Boca Juniors et River Plate, reporté après des violences, se jouera finalement hors d’Argentine.

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Publié le 28 novembre 2018 à 07h07

Temps de Lecture 5 min.

Un supporteur de River Plate dans le stade Monumental, le 25 novembre.

Le football argentin traîne une vilaine gueule de bois. Ce qui devait être sa fête a viré au fiasco. Le match retour de la finale de la Copa Libertadores (l’équivalent de la Ligue des champions en Amérique du sud) entre River Plate et Boca Juniors, les deux clubs les plus populaires du pays, a été reporté suite aux violents incidents qui ont émaillé l’avant-match, samedi 24 novembre. Il se jouera sur terrain neutre, hors d’Argentine, le 8 ou le 9 décembre prochain, a décidé la Confédération sud-américaine de football (Conmebol). Comme un symbole de toutes les folies, et de toutes les dérives, qui entourent le football argentin.

Cette finale opposait pour la première fois les frères ennemis de Buenos Aires, 69 titres en championnat à eux deux. Une rivalité autant sociologique que sportive. D’un côté, River Plate, club du quartier cossu de Nunez, fondé en 1901, vainqueur à trois reprises de la Copa Libertadores. De l’autre, Boca Juniors, sis dans le quartier populaire de La Boca, fondé en 1905 et qui a soulevé le trophée continental à six reprises.

Entre les deux, une passion dévorante et une haine viscérale. Et gare à celui ou celle dans une famille qui ramènerait une petite amie ou un petit ami du rival honni. « Cette rencontre est l’opportunité de démontrer la maturité de notre pays », avait déclaré Mauricio Macri, président de la République argentine, mais également grand patron du club Boca Juniors de 1995 à 2007.

« On aurait dû atteindre le ciel, on a touché l’enfer »

Après le score de parité du match aller (2-2), les supporteurs des deux clubs attendaient le dénouement de cette double confrontation avec impatience et fébrilité. « Le match aller était magnifique, le climat autour de la rencontre était étonnamment calme. Mais les démons de l’Argentine se sont rappelés à nous », se désole Nicolas Cougot, rédacteur en chef du site Lucarne opposée, spécialisé en particulier dans le football sud-américain.

Signe de l’attente suscitée par cette rencontre, 60 000 supporteurs de Boca Juniors avaient garni l’enceinte mythique de la Bombonera pour assister au dernier entraînement de leurs protégés. Les supporteurs de River, eux, n’avaient pas hésité, lors du match aller, à attendre des heures sous la pluie avant que le report du match au lendemain en raison des pluies diluviennes. Près de deux mille demandes d’accréditation avaient été transmises par des médias du monde entier et l’heure de diffusion de la rencontre, en Europe notamment, laissait présager des audiences records.

L’affrontement n’aura finalement pas eu lieu, la faute aux barras bravas de River Plate. Ces derniers ont attaqué le car des joueurs de Boca en route vers le stade Monumental, à coups de pierres et de gaz lacrymogènes, provoquant la blessure du capitaine de l’équipe, Pablo Pérez, transporté à l’hôpital. Deux de ses coéquipiers ont également été blessés par les bris de glace et de nombreux joueurs ont été incommodés par les gaz lacrymogènes. « On aurait dû atteindre le ciel, on a touché l’enfer. A l’image de ce que vit la société argentine en ce moment », se désole Delio Onnis, l’ancien attaquant italo-argentin et meilleur buteur de l’histoire du championnat de France, qui peine à exprimer la « honte » ressentie devant ces incidents.

Le maire de Buenos Aires, Horacio Rodriguez Larreta, a directement lié les incidents avec la perquisition du leader de la barra brava de River organisée la veille de la rencontre et au cours de laquelle 10 millions de pesos (229 000 euros) et 300 billets pour la finale y ont été confisqués. « La barra brava est le problème, une mafia qui infiltre le football depuis plus de cinquante ans, a déclaré dimanche Horacio Rodriguez Larreta lors d’une conférence de presse, dans des propos rapportés par le quotidien argentin Clarin. Ils sont responsables de ces incidents. C’est directement lié à l’épisode de la veille. Trois cents personnes ont été empêchées d’aller au stade et ils ont été les principaux protagonistes de tout ce qui s’est passé. »

Gangrené par les « barras »

« Le foot argentin est magnifique sur le terrain, mais il est complètement gangrené en dehors par ces barras, qui ne sont pas des ultras c’est important de le souligner mais bien des membres d’organisations criminelles qui gèrent des trafics de drogue, d’armes, de revente de billets, etc. », explique Nicolas Cougot. « C’est le seul pays au monde où on joue les matchs sans supporteurs adverses. Et, malgré cela, il y a quand même des violences », abonde Delio Onnis, qui pense que ces incidents vont marquer un tournant et que « les choses ne seront plus jamais comme avant. Le football proprement dit va se remettre, mais les gens ne vont plus vouloir aller au stade. Ils n’oublieront pas ».

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Ce match, qui se voulait une vitrine du football argentin ouverte sur le monde, n’a fait que confirmer ses maux, dans un pays où le sport roi est parfois une question de vie ou de mort – 93 personnes ont été tuées lors de la dernière décennie. Est-il condamné à vivre perpétuellement avec cette violence ? « Les barras ont des accointances avec plusieurs dirigeants de clubs, et ce jusqu’aux plus hautes instances, ce qui fait que le ménage n’est pas fait. Et il ne sera probablement jamais fait, car ce sont eux qui font et défont les dirigeants, se désole Nicolas Cougot. Quand on a les barras avec soi, c’est plus facile de diriger le club. Certains ont essayé de s’y opposer et ça ne s’est pas forcément très bien fini… Le football argentin est aussi à l’image de sa société, gangrenée par la violence, la corruption et les intérêts particuliers. »

Une analyse partagée par Delio Onnis. L’ancien attaquant peine à percevoir la « petite lumière d’espoir » qui permettrait à son pays de sortir du marasme. « En ce moment, l’Argentine, c’est ça. On ramène tout à la politique, on se fâche avec tout le monde, son père, sa sœur, son frère… La situation que nous vivons est catastrophique. Quant aux barras, je suis très pessimiste, le ménage ne sera pas fait », poursuit le buteur de Reims et de l’AS Monaco. Peu importe où et quand, il ne regardera pas le match retour. « Le mal est profond » et le football argentin pourrait mettre du temps à s’en relever.

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