Affaire Ghosn : l'arrogance française sous le feu des critiques au Japon

VIDÉO. Depuis l'arrestation de Carlos Ghosn, soupçonné de malversations, de nombreux Japonais suspectent la France d'avoir voulu fusionner Nissan et Renault.

Par (à Tokyo)

Temps de lecture : 4 min


« Vous vous prenez pour des rois, les Français, ou quoi  ? L'argent gagné par Nissan et Mitsubishi Motors va dans les caisses de Renault, et vous trouvez ça normal. C'est insensé. » C'est un passant au pied du siège de Nissan, à Yokohama, en banlieue de Tokyo, qui répond, mais il résume bien la façon dont les Japonais voient la relation entre Renault et Nissan. Il faut dire que la presse les aide bien depuis l'arrestation de Carlos Ghosn, le 19 novembre, en insistant sur la « domination » du groupe français sur son partenaire japonais, alors même que « 40 % du bénéfice de Renault vient de Nissan ». Renault détient plus de 43 % du capital de Nissan, qui, en retour, a seulement 15 % de Renault, sans droit de vote.

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Au Japon, l'affaire est entendue : la France veut avaler Nissan parce que, sans lui, Renault irait, dit-on, très mal. Les analystes et commentateurs ne cessent de disserter sur l'intention maline du gouvernement français de pousser plus loin l'intégration des deux groupes. Et les commentaires du ministre de l'Économie Bruno Le Maire (« La présidence de l'alliance doit revenir à un Français »), au lieu de calmer le jeu, ne font que renforcer l'impression d'arrogance de la France.

Concentration du pouvoir

Or le message des Japonais, Hiroto Saikawa, patron de Nissan, en tête, est que le schéma actuel est précisément à l'origine des possibles dérives de Carlos Ghosn, du fait de la concentration du pouvoir chez Nissan et dans l'alliance entre ses seules mains. De même, quand M. Le Maire dit « avoir convenu » avec son homologue japonais, Hiroshige Seko, « que les règles de gouvernance ne changent pas » au sein de l'alliance, nombre d'analystes au Japon se demandent pourquoi ces affaires de sociétés privées se négocient entre ministres.

« Cela n'a absolument rien à voir avec le gouvernement japonais, s'agace le spécialiste de la gestion d'entreprise et commentateur Kenichi Ohmae. M. Le Maire dit que les citoyens français aussi bien que japonais veulent que l'alliance continue. Mais il se trompe. Les citoyens japonais n'en ont pas grand-chose à faire. Pourquoi  ? Parce qu'en vérité Ghosn a négligé l'importance de Nissan au Japon au profit de l'étranger. Et, finalement, Nissan n'est plus que 5e constructeur au Japon. Du coup, il n'y a pas grand monde au Japon que la disparition de Nissan inquiéterait. En France, c'est différent, il n'y a que Renault et PSA. »

Dialogue par presses interposées

Pour le consultant Takaki Nakanishi, fin connaisseur du secteur, « si on avait trouvé une formule plus juste après le rétablissement de Nissan (sauvé de la déroute par Renault en 1999), la situation ne serait pas ce qu'elle est ». « C'est le président Emmanuel Macron qui est derrière la volonté de fusionner Renault et Nissan pour qu'un Français domine le marché de l'automobile mondial, c'est son scénario, et Nissan a peur de n'être à l'avenir qu'une filiale de Renault », tranche M. Ohmae, qui prédit que « les négociations à venir vont être extrêmement difficiles », tout en précisant que Nissan est désormais une entreprise très solide. Et il n'est pas rare de lire ou d'entendre au Japon que, si l'alliance venait à capoter, Nissan s'en sortirait bien mieux que Renault.

Les patrons de Renault et Nissan doivent se retrouver ce jeudi, et, selon les analystes, ce n'est pas du luxe, car les dialogues par presses interposées donnent l'impression désastreuse que les « alliés » ne se comprennent pas.

Lire aussi Renault-Nissan : grandes manœuvres pour éviter le crash

Pour ne rien arranger des relations, la presse japonaise reprend des articles de journaux français où sont décrits d'une façon peu amène le système judiciaire japonais et les conditions de détention supposées de M. Ghosn (rien n'est confirmé par l'avocat de l'intéressé). Or, même si d'aucuns reconnaissent qu'il y a des marges d'amélioration dans ce dispositif, les citoyens japonais jugent naturelle une stricte discipline en prison (comme à l'école ou dans tout autre établissement collectif) et ne sont pas du tout disposés à recevoir des leçons des Français. Ils ne sont pas davantage prêts à s'apitoyer sur le sort d'un patron accusé par Nissan et les médias de très nombreuses malversations, les soupçons d'enrichissement personnel étant particulièrement mal vus.


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Commentaires (50)

  • Timéo Danaos

    Et à la France que sans Nissan Mitsubishi, Renault n’existe plus ?
    Une réalité si douloureuse qu’on la masque derrière un sursaut d’orgueil des Japonais, diable à qui se fier !
    Nissan se portait très bien sans Renault et l'alliance n’avait dlautre fin que d’accrocher le wagon Renault aux locomotives nippones : on dit merci qui ?
    Gohsn a trouvé au Japon des industries florissantes, ç’a été l’hôpital de Renault, et même pas la reconnaissance du ventre ?
    Ach ! Donnerwetter, Franzose !

  • guy bernard

    Que les japonais parlent d'arrogance alors qu'ils rêvent d'abandonner leurs ères de paix éternelles au profit d'un shogunat pur et dur est un peu fort de café.
    Il est vrai que Macron croyant défendre Renault a pris des mesures considérées au Japon comme des agressions, mais les contre-mesures japonaises n'en sont pas moins agressives, insultantes et de mauvaise foi.
    les rémunérations des patrons japonais ont un affichage raisonnable pour des raisons culturelles mais hors de proportion avec les pratiques réelles : on peut donc les dénoncer.
    les japonais n'ont pas intérêt à s'isoler dans leur environnement direct, et si ils le pensent, c'est qu'ils sont prêts à l'affrontement jusqu'au dernier.

  • chatbleeu

    Les dominants arrogants et méprisants génèrent de envies de vengeance.

    Les frustrations de leurs victimes sont des bombes à retardement dont ils ne savent pas toujours se protéger.