Netflix a le sens du timing. Alors que la vague #metoo tardait à déferler sur l’Inde, avec des révélations en cascade à Bollywood et dans d’autres sphères du pouvoir, ces dernières semaines, la plate-forme de streaming avait frappé fort quant à la libération de la parole des femmes. Depuis début juin, Netflix diffuse Histoires sensuelles (Lust Stories), l’association de quatre courts-métrages explorant, en trente minutes chacun, le thème de la luxure. Comme l’a relevé le Hindustan Times, le film fournit « une représentation assez précise de là où nous en sommes dans ce pays, tant en termes de progrès que de cinéma ». Histoires sensuelles ressemble, selon le journal, à ces « menus dégustation que l’on peut trouver dans les restaurants chics », ces plateaux où le spectateur picore des histoires qui paraissent à la fois « inhabituelles et familières ».
Les tabous de l’Inde conservatrice
Inhabituelles, car les quatre saynètes enfreignent les tabous d’une Inde encore pétrie d’un profond conservatisme, où la liberté sexuelle entre en perpétuel conflit avec la morale et le poids de la famille. La première histoire est celle d’une enseignante ayant une aventure avec un de ses élèves, la deuxième est le récit d’une femme de ménage tombant amoureuse de son employeur, la troisième met en scène une mère au foyer entretenant une liaison avec le meilleur ami de son mari, et la quatrième une jeune mariée qui découvre les plaisirs que peut procurer un vibromasseur.
Il y a là de quoi attirer un public indien frustré par un siècle de censure au cinéma. Netflix échappe aux ciseaux des gourous du nationalisme hindou effréné qui agitent le pays depuis cinq ans, le streaming n’étant pas régi par les mêmes codes de régulation. Et la plate-forme a compris tout l’intérêt qu’elle a à jouer de cette image de modernité. Cet été, le géant américain a également diffusé sa première série indienne, Sacred Games, récit de la vie tumultueuse de l’un des plus grands mafieux de Bombay, dans lequel les personnages fument et font l’amour.
Les quatre cinéastes d’« Histoires sensuelles » ont « imprégné leurs scénarios des pouvoirs libérateurs de la subversion, en exploitant les désirs étouffés d’un pays »
Ces quatre Histoires sensuelles sont en même temps familières, en ce qu’elles illustrent, non sans humour, la paranoïa qui découle de l’usage des réseaux sociaux, des dénonciations justifiées comme des calomnies qui frappent les présumés harceleurs et violeurs en tout genre. Leurs réalisateurs – Anurag Kashyap, Zoya Akhtar, Dibakar Banerjee et Karan Johar – ont pris des risques, même si ces derniers ne sont pas nécessairement perceptibles par un œil occidental, pour lequel cette anthologie peut sonner comme un vieux Rohmer, avec des sorties qui ne sont pas sans rappeler celles, ingénues, d’Arielle Dombasle dans Pauline à la plage (1983).
Les quatre cinéastes auteurs d’Histoires sensuelles ont « imprégné leurs scénarios des pouvoirs libérateurs de la subversion, en exploitant les désirs étouffés d’un pays », observe très justement le site d’information The Wire.
Le quatuor, qui avait déjà vécu une expérience commune du même genre en 2013 avec le film à sketches Bombay Talkies, pour célébrer le centenaire du cinéma indien, analyse avant l’heure l’exploration de soi à laquelle le phénomène #metoo invite les femmes. Leurs personnages ont ceci de particulier qu’ils incarnent les Indiennes modernes, celles qui décident de se laisser (ou pas) emporter par leurs désirs sexuels, sans que cela ne leur procure aucune gêne. Espérons qu’à l’avenir les cinéastes osent davantage explorer avec la même franchise et la même complexité une masculinité également en pleine mutation.
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