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Vives critiques contre le « père » des bébés génétiquement modifiés

Le biologiste chinois He Jiankui a tenté de se justifier lors d’une conférence sur la modification du génome humain à Hongkong. Sans convaincre.

Par  (Hongkong, correspondance)

Publié le 29 novembre 2018 à 11h30, modifié le 29 novembre 2018 à 12h42

Temps de Lecture 4 min.

He Jiankui dans son laboratoire de Shenzhen en octobre.

Depuis l’annonce-choc, lundi 26 novembre par voie de presse, selon laquelle les premiers bébés génétiquement modifiés – des jumelles – étaient nés en bonne santé courant novembre dans le sud de la Chine, les participants au deuxième sommet mondial sur la modification du génome humain (organisé à Hong Kong du 27 au 29 novembre) attendaient avec une certaine anxiété l’intervention du biologiste He Jiankui, auteur autoproclamé de cette première mondiale. Certaines rumeurs disaient qu’il ne viendrait pas. D’autres qu’il avait été arrêté.

C’est donc dans une ambiance électrique que, mercredi après-midi, le jeune chercheur est monté sur l’estrade du grand amphithéâtre de l’université de Hong Kong, sacoche à la main, timidement encouragé par quelques applaudissements perplexes. Le modérateur des débats avait fermement averti la salle, et notamment le groupe de journalistes inhabituellement fourni, qu’au moindre désordre il ferait interrompre la session, car « il est important qu’on lui laisse l’occasion de s’expliquer ».

La présentation de He Jiankui a donc commencé sur le ton neutre et scientifique de rigueur. Il s’est d’abord excusé que l’information ait « fuité » avant d’avoir été revue par la communauté scientifique. Il avait en fait donné un entretien à l’agence Associated Press et mis en ligne sur Youtube une vidéo dans laquelle il affirmait, au sujet de la modification du génome humain, que « si ce n’avait pas été [lui], quelqu’un d’autre » l’aurait fait.

Il a indiqué avoir fait appel à huit couples, dont un s’est désisté, tous avec père séropositif et mère séronégative, pour ce projet dont le but officiel était de protéger les enfants du risque, non avéré, d’être infecté par le VIH. Il a également parlé d’une autre grossesse en cours, sans donner de détails. « Avoir recours à de la manipulation génétique pour empêcher une infection VIH est comme tuer un oiseau avec un canon », avait jugé la veille le professeur de bio-éthique Qiu Renzong, de l’académie des sciences chinoise.

« Irresponsable »

Dès cette présentation terminée, et avant la séance de questions-réponses, David Baltimore, Prix Nobel de Médecine 1975, a pris la parole pour qualifier d’« irresponsable » le passage à l’étape clinique d’une modification du génome humain « alors qu’il manque encore un consensus universel dans la société et qu’il manque des réponses à des questions de sécurité » – notamment des modifications indésirables sur le génome induites par la technique employée, Crispr-Cas9, découverte en 2012 seulement.

Il a également estimé que le processus, qui n’était pas « médicalement nécessaire », n’avait pas été transparent. « Nous sommes mis devant le fait accompli », a déclaré David Baltimore, qui a indiqué que le comité organisateur du sommet publierait un communiqué jeudi.

Les questions posées ensuite au professeur He Jiankui ont principalement porté sur ses motivations, sur le consentement des parents et sur les procédures de contrôle de la communauté scientifique. Il s’est dit « fier » d’avoir pu soulager la famille concernée et d’avoir redonné espoir au père de ces enfants. Il a cité certains villages chinois, où un tiers des habitants étaient porteurs du virus et où les enfants de parents séropositifs étaient souvent confiés à des parents sains pour éviter une contamination.

Il a indiqué que les parents qui avaient participé à son programme l’avaient fait de leur plein gré : « Ils sont tous éduqués. Ils savent beaucoup de choses sur le VIH. » Le consentement a eu lieu en deux étapes : « D’abord une conversation d’une heure et dix minutes, après quoi ils ont le temps de réfléchir tranquillement, et ensuite un consentement écrit. » En fait, la recherche dudit consentement commence par : « Acceptez-vous de participer à un protocole de vaccination contre le VIH ? »

« Il s’est peut-être persuadé qu’il était en train de sauver l’humanité de l’épidémie du sida, mais il a l’air de s’être enfermé dans une conviction et ensuite, en connaissance de cause ou en faisant semblant de ne pas savoir, a utilisé toutes les failles possibles du système pour arriver à ce résultat », observe Hervé Chneiweiss, directeur du centre de recherches en neurosciences à la Sorbonne et président du comité d’éthique de l’Inserm.

Risque de poursuites

Les autorités de Pékin se sont engagées à vérifier comment ce scientifique désormais qualifié de « Frankenstein chinois » avait pu mener son expérience à leur insu, et ont indiqué qu’il risquait des poursuites. « En France, celui qui ferait cela irait directement en prison », affirme le professeur Chneiweiss. L’hôpital privé impliqué dans l’opération, le HarMoniCare Women and Children’s Hospital, à Shenzhen, a indiqué au South China Morning Post avoir porté plainte auprès de la police, accusant M. He d’avoir falsifié des documents.

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Mais cet épisode a surtout brisé un tabou qui va bien au-delà des questions de protocole scientifique, puisque la modification du génome n’a pas eu pour but de soigner une maladie mais bien d’améliorer l’espèce. « Ces deux petites filles n’étaient pas malades. Les transformations qu’on leur a faites resteront avec elles toute leur vie et seront passées à toutes les générations de leur descendance. Sommes-nous, en tant qu’êtres humains, en droit de prendre une telle décision sur la vie d’autrui ?, interrogeait Mohammed Ghaly, spécialiste des questions de bioéthique au Collège d’études islamiques de Doha. C’est un incident majeur qui pose des questions fondamentales. »

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