Chez Renault et Nissan, chacun affûte ses armes
Lors de leur première réunion depuis l'arrestation de Carlos Ghosn, les directeurs généraux de Renault, Nissan et Mitsubishi ont cherché à rassurer. En coulisse pourtant, chacun soupèse ses options.
Par Anne Feitz, Julien Dupont-Calbo, Valérie de Senneville
« Si vous voulez la paix, préparez la guerre ». Au sein de l'Alliance Renault-Nissan, le vieil adage n'a jamais été aussi vrai. En façade, tout va bien. La réunion de l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi qui s'est tenue jeudi à Amsterdam (la première depuis l'arrestation spectaculaire de son PDG, Carlos Ghosn, dix jours plus tôt) s'est conclue par un communiqué on ne peut plus sibyllin. Les trois groupes ont « de manière unanime et avec conviction », réaffirmé « leur profond attachement à l'Alliance », pour laquelle ils restent « pleinement engagés ». Comme prévu, les directeurs généraux des trois groupes, Hiroto Saikawa (Nissan), Thierry Bolloré (Renault) et Osamu Masuko (Mitsubishi) y ont participé par visioconférence. « La réunion est restée très opérationnelle », affirme-t-on chez Renault.
Pas de président intérimaire
Selon Hiroto Saikawa et Osamu Masuko, qui se sont exprimés après la réunion depuis le Japon, aucun président intérimaire ne sera nommé. Tant que le sort de Carlos Ghosn n'est pas tranché (il est toujours présumé innocent et PDG de Renault), les décisions seront prises à trois, ont-ils affirmé. « Cette solution ne peut être que temporaire, elle n'est pas opérationnelle », souligne une autre source française. Chez Renault, on ne fait aucun commentaire.
Mais personne en France n'imagine aujourd'hui un autre que Thierry Bolloré à la présidence de l'Alliance - conformément aux statuts, selon lesquels ce poste revient au patron de Renault. « Le directeur général de Renault doit rester le président de l'Alliance », a insisté mardi le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire (l'Etat détient 15 % de Renault).
Barbichette
Derrière l'harmonie affichée, Français et Japonais ont commencé à recenser leurs armes et à brandir les menaces, de façon plus ou moins explicite. Et ce, même si personne n'ose croire, pour le moment, au scénario extrême de la guerre ouverte . En « off » Nissan ne fait guère mystère de son souhait de voir l'Alliance rééquilibrée en sa faveur . Une éventualité exclue par Bruno Le Maire. « Je ne souhaite pas qu'il y ait de modification des équilibres de pouvoir entre Renault et Nissan. Le partage est le bon, l'équilibre est le bon », a-t-il martelé mercredi. Renault détient 43,3 % chez Nissan, qui ne possède de son côté que 15 % du Losange, sans droits de vote.
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« Chacun des deux groupes a gros à perdre, et aucun ne voudra prendre la responsabilité de tirer le premier », espère un cadre de Renault. Ce qui n'empêche pas chacun d'étudier soigneusement ses options juridiques en coulisses. « On est un peu aujourd'hui dans l'équilibre de la terreur », dit une autre source proche du dossier. « Chacun se tient par la barbichette ». Si l'une des parties venait à rompre le fameux Rama, l'accord secret qui lie Renault et Nissan, l'autre serait immédiatement libéré de ses obligations.
Menace du contrôle absolu
Ainsi, si Nissan portait sa participation à 25 %, il priverait de facto le Losange de ses droits de vote chez lui. Renault, de son côté, peut brandir la menace de monter au-delà de 50 %, et de passer à une situation de contrôle absolu. Un scénario que l'Etat français n'exclut pas, comme l'a affirmé mercredi un conseiller gouvernemental aux « Echos ».
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Quoiqu'il en soit, si Nissan devait passer à l'offensive, le cas serait traité par la justice française et l'Association des marchés financiers (AMF), Renault étant une société de droit français. Tout le monde à Paris espère toutefois ne pas en arriver là.
À noter
Le parquet japonais doit se prononcer ce vendredi sur la prolongation de la détention de Carlos Ghosn pour 10 jours supplémentaires. A Paris, on n'a toujours aucune preuve ni élément concret sur les accusations dont le PDG de Renault fait l'objet.
Valérie de Senneville