Sigmund Freud sur le divan de Jean Clair, c’est ce que propose en 200 œuvres et objets divers le Musée d’art et d’histoire du judaïsme. Pari osé, pari encombré, mais pari gagné : avec Philippe Comar, professeur de dessin à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts, et Laura Bossi, neurologue et historienne des sciences, Jean Clair a réuni un ensemble qui, pour être profus, n’en est pas moins une passionnante plongée dans une des révolutions intellectuelles du XXe siècle.
Le lieu n’est pas neutre, qui expose un agnostique, « juif tout à fait sans Dieu », ainsi qu’il se définissait, précisant toutefois : « Qu’est-ce qui est encore juif chez toi (…) ? Encore beaucoup de choses, et probablement l’essentiel. » Les nazis ne s’y trompèrent pas, qui le contraignirent à l’exil. Le plus important est ailleurs, selon les commissaires de l’exposition : dans une capacité à interroger le monde et analyser sans fin les textes, les paroles, le Verbe qui, croit-on, le fondent.
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Le Verbe, plus que les images. Freud a peu écrit sur les arts plastiques, mais les deux principaux textes qu’il leur a consacrés sont importants : celui où il traite du Moïse de Michel-Ange (Editions Points, 2016) est un exemple de précision descriptive, que devrait avoir lu tout étudiant en histoire de l’art, et celui intitulé Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci (PUF, 2012) est une autre leçon, en ce qu’elle apprend à se méfier des traductions : l’oiseau sur lequel il fonde son interprétation de l’homosexualité (par ailleurs attestée) du maître italien n’était pas celui qu’il croyait.
Plus de 3 000 « antiques »
Mais s’il a peu disserté sur les images, il en était entouré : plus de 3 000 antiques, des pièces d’archéologie d’à peu près toutes les périodes, encombraient son appartement viennois. Son rapport aux images et aux idoles est tout à fait singulier, même s’il a eu une prédilection pour celles qui pouvaient inspirer ses propres travaux, à en juger par les phallus fort nombreux, venus de Rome comme du Japon, ce qui tend à démontrer l’universalité du thème, ou cette délicieuse lampe à huile où une jeune femme, juchée sur un monsieur, s’applique à raviver sa flamme. Les figures montrant Œdipe et le Sphinx sont aussi, on l’aura deviné, bien représentées.
Les commissaires de l’exposition rappellent que les premiers travaux du jeune médecin étaient consacrés à l’anatomie comparée, et plus précisément à l’étude des organes sexuels des anguilles… De l’anguille à Blanche Wittmann, il n’y a qu’un pas, mais il est large : la dame était une des patientes du docteur Charcot, et sans doute la plus célèbre, « véritable pièce de laboratoire vivante », disaient les détracteurs du médecin, qui la soupçonnaient d’être comédienne plus qu’hystérique. Blanche Wittmann, c’est cette femme voluptueuse qui s’abandonne dans les bras d’un assistant durant Une leçon clinique à la Salpêtrière, célèbre tableau d’André Brouillet dont Freud possédait une reproduction. Pose théâtrale, qui convenait bien à ces leçons qui attiraient le Tout-Paris, du temps où l’analyse des maladies nerveuses était un rendez-vous mondain.
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